Printemps 1938. Fière, sûre de
moi, je redresse mes trois ans et demi et
je passe sans problème sous la table
de cuisine. Et ne dites jamais que je suis
trop petite pour mon âge !
N'est-ce pas merveilleux ? Je vais avoir
quatre ans. Cette année, nous partirons
en vacances à la campagne chez les
Parents de Maman. Et juste après,
j'aurai quatre ans. Je me prends au moins
pour le centre du monde et ce n'est pas
mon gros poupon de petit frère qui
me contredira. C'est un bébé
puisqu'il n'a pas deux ans ! Nous habitons
un bel appartement dans la région
parisienne, à Pavillons-sous-Bois.
C'est une ville superbe, avec de larges
trottoirs, des rues pavées qu'on
appelle ici des allées. J'aime beaucoup
le dessin fait sur la route par les pavés
carrés : on croirait des ronds pas
finis mais Maman prétend que ce sont
des "arcs de cercle". Les carrés
et les ronds, je les connais par cur.
Je ne veux pas dire "arqueues de cercleue"
parce que cela ressemble trop au bruit que
je fais quand j'ai avalé une grosse
plaque de chocolat à croquer Meunier
et que mon estomac n'est pas d'accord.
Chaque après-midi Maman sort le
grand landau, y assoit mon petit frère
André, dit Dédé, et
nous nous promenons tranquillement le long
des allées ombragées de vastes
platanes. Je marche gravement, exactement
comme Maman le fait, perchée sur
de hauts talons. Pendant ces longues promenades
j'apprends à sauter à la corde,
mais les manches en bois peint me semblent
trop longs et trop lourds. C'est difficile
et je n'arrive pas à faire plus de
deux tours. Mes pieds s'emmêlent dans
la corde et je m'affale en pleurnichant.
Souvent nous contournons la grande église
Saint-Augustin ; je l'aime bien avec ses
briques rouges et ses vitraux de couleurs
vives. Mais elle est loin de chez nous et
Maman dit : "Il me semble que tu traînes
un peu la patte, rentrons."
Elle me soulève et me dépose
dans le landau. Dédé et moi
sommes assis face à face. Au milieu
du landau il y a un grand creux pour mettre
les jambes, c'est pratique. De temps en
temps j'ai bien envie de donner des coups
de pied à ce sale voleur de Parents
assis en face de moi ; mais je me retiens
parce qu'un jour j'ai fait ça et
que j'ai dû faire le trajet retour
à pieds. Maman descend le landau
sur la route et se met à courir de
toutes ses forces. Le landau tremble et
vibre sur ses énormes ressorts. Maman
s'arrête quelques instants, essoufflée.
Nous crions "Encore !" Et elle
repart de plus belle, encouragée
par nos fous rires.
Quatre heures ! Nous voici de retour. Dédé
s'agrippe au cou de Maman. Nous voilà
partis vers le premier étage. Dédé
est lourd et Maman fait une pause sur le
palier. Tandis qu'elle change son fiston
trempé jusqu'au cou, je me lave les
mains pour le goûter. Et je me dis
que s'il n'avalait pas tous ces énormes
biberons de lait frais, il ferait peut-être
un peu moins pipi. Dédé avale
goulûment un biberon de lait tiède,
plein à ras bords. Je regarde mon
petit frère avec étonnement.
Je déteste le lait et je me régale
avec une minuscule tartine de beurre sur
laquelle Maman a râpé du chocolat.
Notre quartier vit comme au début
du siècle. Chaque matin à
six heures, par tous les temps, nous sommes
réveillés par la carriole
du laitier. J'ai un secret avec Papa. Il
me réveille en douceur et je me précipite,
pieds nus et en chemise de nuit, vers la
fenêtre de la salle à manger.
La carriole est là, au milieu de
la rue, juste devant notre porte. Le fermier
crie :
"V'là l'bon lait frais ! Tout
frais trait ! V'là les p'tits fromages
blancs !" Toutes les portes s'ouvrent.
En général, ce sont les hommes
qui sortent à pareille heure, sauf,
bien entendu, certaines femmes qui n'ont
pas de mari.
Le fermier est curieusement habillé.
Ses bottes en caoutchouc noir brillent sous
la lumière du réverbère.
Une large ceinture de flanelle retient son
pantalon. Il ne porte jamais de bretelles
mais il a un gilet de cuir fauve et surtout
un chapeau de feutre noir un peu cabossé.
Il est très gentil : dès qu'il
m'aperçoit, il m'adresse un grand
bonjour de la main. En hiver la capote est
rabattue et cache l'avant de la voiture.
Le cheval est couvert et deux lanternes
s'efforcent d'éclairer la route.
Papa assure que la voiture à cheval
est rigoureusement propre, les bidons de
lait impeccables, les mesures à grande
queue et les petits moules en forme de cur
aussi. Pourtant j'en doute. Un jour de grande
promenade, j'ai aperçu le gros tas
de fumier au milieu de la cour de la ferme.
Une odeur écurante et un liquide
brunâtre s'en dégageaient.
Quelle propreté peut-il sortir de
là ?
Le nez collé sur la vitre, j'observe
le fermier. Il plonge la mesure d'un litre
dans le gros bidon et commence à
remplir les boîtes à lait métalliques
que lui présente Papa. Il referme
avec soin le gros bidon dont le couvercle
pend au bout d'une chaîne. Ensuite
Papa tend une jatte en verre et le fermier,
retournant trois moules en forme de cur,
verse le fromage blanc. Il prend une grande
louche de crème fraîche et
la répartit sur les fromages. Papa
remonte avec les deux boîtes à
lait d'une main et de l'autre la jatte contenant
les petits curs. Je l'entends monter
et j'ouvre. Je glisse un doigt sur la crème
fraîche, délicieuse mais glacée.
Un gros bisou à Papa et hop ! Sous
les draps pour me réchauffer car
le feu s'éteint toujours durant la
nuit. Maman viendra me réveiller
vers les neuf heures, trouvant que je dors
beaucoup.
Il paraît qu'une seule fois le fermier
n'est pas passé : ce jour-là
la route ressemblait à une patinoire.
Maman est partie dans le milieu de l'après-midi,
nous laissant à la garde de la voisine
du dessous. En rasant les murs, en se tenant
aux grilles, elle a fini par arriver chez
Maggi, une boutique qui vend des laitages.
Le soir elle a raconté à Papa
qu'une fois servie, elle a hésité
à sortir de la boutique.
Maman fait beaucoup de bonnes choses avec
le lait. J'aime le riz au lait avec le caramel
qui est dessus, la crème anglaise
et ses blancs en neige, le lait caillé
qui devient un bon fromage à condition
qu'il soit sucré. Ma préférence
va quand même à la crème
caramel que Maman prépare dans un
grand plat en terre.
L'après-midi se termine. Nous jouons
à quatre pattes sur le parquet de
la salle à manger, tandis que Maman
tricote ou fait du crochet. Le parquet,
c'est mieux que le tapis pour faire glisser
nos jouets. Malheureusement Madame Prost
la voisine du dessous n'est pas du tout
d'accord ; elle est très nerveuse
et sensible au bruit. Elle assure à
Maman, le plus sérieusement du monde,
qu'elle entend tomber une épingle
quand Maman fait de la couture ! Elle ne
supporte pas la démarche un peu lourde
et malhabile de Dédé. Elle
épie et reconnaît à
l'instant même le moindre jeu. Ainsi
notre bel oiseau en métal coloré
qui sautille au fur et à mesure que
son ressort se détend, la crispe-t-elle.
La toupie en fer multicolore qui ronronne
de plus en plus fort quand on actionne sa
poignée de haut en bas, l'irrite.
Mais il est une chose qui la conduit au
bord des larmes : c'est l'effondrement brutal
du château de cubes en bois.
Madame Prost a un grand garçon,
"calme et posé comme son père"
assurent mes parents. Henri dit Riton, âgé
d'une douzaine d'années, est gentil
et joue avec Dédé sans se
lasser. Quand il fait beau, il attrape le
bébé et le fait sauter en
l'air. L'allée cimentée est
étroite. Mme Prost hurle :
"Riton tu vas empaler le p'tit dans
cette maudite grille."
Mais Dédé et Riton rient
aux éclats. Cette femme est bizarre
et cela oblige Maman à l'être
également. Aujourd'hui, je surveille
la sortie de Mme Prost. Dès qu'elle
part en courses avec son cabas, j'avertis
Maman. Alors Maman "laisse tomber"
l'O'Cédar qui fait briller le plancher
et se précipite sur sa machine à
coudre toujours prête. Je tourne la
grosse roue noire à la main et le
pédalier se met à osciller.
C'est parti ! A vive allure elle nous confectionne
des pyjamas en finette. Elle glisse le tissu
sous le pied de biche, rabat une manette
qui se trouve sur le côté droit
et hop ! Ca coud tout seul !
"Maman ! Attention, la v'la !"
Alors Maman récupère son
balai abandonné et achève
le ménage. Maman a une autre solution.
Quand la voisine se met à la machine
à coudre, Maman en fait autant. Mais
ce n'est pas toujours possible ! L'autre
jour, Maman préparait un gâteau.
Une main pleine de farine, elle saupoudrait
le moule pour ne pas qu'il colle. Soudain,
nous entendons la machine ennemie. Maman
hésite un court instant, puis continue
de verser la pâte dans le moule et
enfourne. La levure ne peut attendre.
Le comble de la discorde est atteint quand
Papa installe un superbe train mécanique.
Ce train est en fer, je veux dire en métal
peint. Il est mécanique car il faut
remonter longuement un ressort, bien serrer
les roues dans la main pour ne pas que le
ressort se détende brusquement et
poser délicatement la locomotive
sur les rails. C'est un train complet avec
sa locomotive, son tender, ses wagons de
marchandises. Les rails comportent plusieurs
aiguillages. Le tunnel est orné de
fausse mousse et de rochers. Devant la gare,
assis sur un banc, un couple attend le train.
La fermière porte un panier d'osier
et son mari un parapluie. Au bout du quai,
le chef soulève une lanterne et tient
un sifflet. Plus loin dans la courbe on
a posé le village, les vaches, le
gamin et son petit chien.
Madame Prost devient enragée, elle
fait damner nos parents, écrit au
propriétaire. Maman a beau lui expliquer
qu'on ne peut pas coucher des enfants toute
la journée, elle ne veut rien entendre.
La rupture est consommée. Finalement,
nous déménagerons pour Villemomble
quelques mois plus tard, en Septembre 1939.
Dommage un appartement si joli et si confortable
!
Il m'en arrive des choses cette année
! Depuis quelques jours je demande à
Maman de m'accompagner aux toilettes car
j'ai une peur bleue d'une chose bizarre
pendue au plafond. D'abord, il se dégage
de cette chose une odeur épouvantable
un peu comme celle des rats crevés
près des bouches d'égout.
En fait, c'est une peau de renard entière,
de la tête à la queue. Papa
adore Maman. Faire plaisir à sa Denise,
il ne rêve que de cela ! Comment a-t-il
eu cette bête ? Je n'en sais rien
! Toujours est-il qu'elle est bien étirée
et bourrée de paille sèche.
Dans quelques mois, Maman se promènera
très fière, un renard roux
tout entier sur ses épaules. Mais
en attendant, je refuse d'aller aux toilettes
!
Dans la salle à manger il y a un
Godin. C'est un gros poêle à
charbon qui avale des tonnes de " boulets
". Il est d'un beau vert foncé
brillant avec, sur sa large porte ventrue,
de petits carrés de mica qui laissent
voir les flammes. Ce soir il fait froid.
Je m'approche du feu, relève ma belle
chemise de nuit à pois roses confectionnée
par Maman, et présente mon postérieur
à la douce chaleur. Un hurlement
fait résonner l'appartement. Maman
m'arrache de là. Ma peau reste collée
sur le Godin. Maman m'installe à
plat ventre sur le divan, file chercher
la bouteille d'huile et un vieux drap et
verse généreusement le liquide
sur les dessins. Impossible de dormir de
la nuit ! Et longtemps je porterais des
carrés rose-clair sur ma peau mate.
Chaque jour Maman lave à la main.
Elle se poste devant l'évier de la
cuisine et savonne de petites choses fragiles,
les pulls, les socquettes, les corsages
etc. Deux fois par mois, elle prépare
la grande lessive. Je l'aide à trier
"le blanc". On pose par terre
les taies d'oreillers, les torchons, les
serviettes de table, les draps, les mouchoirs...
Sur la cuisinière Maman installe
une grande marmite : la lessiveuse. Elle
y verse de l'eau, ajoute la Lessive La Croix
qu'elle dissout à l'aide d'un grand
bâton.
- C'est comme la sauce blanche il ne faut
pas qu'il y ait de grumeaux, répète
sans cesse Maman.
Au fond de la lessiveuse il y a une sorte
de passoire dont l'arrondi est tourné
vers le haut. Au centre de cette passoire
on enfonce une cheminée terminée
par une pomme d'arrosoir. On met le linge
en rond dans la lessiveuse. On prend un
morceau de Savon de Marseille. On le transforme
en copeaux à l'aide d'une vieille
râpe à gruyère. Maman
referme le couvercle. Ca va bouillir ! L'eau
qui est sous le linge monte dans la cheminée,
passe dans la pomme d'arrosoir, asperge
le linge d'eau savonneuse. L'eau redescend
lentement à travers les épaisseurs
du linge, retombe au fond et monte de nouveau.
Le linge sale ressortira propre et brûlant.
Maman et moi nous faisons le ménage.
J'ai un chiffon très doux et je frotte
le buffet de salle à manger. Ce buffet
est en deux parties. En bas il y a des portes
sculptées : l'une est ornée
d'une grappe de raisin, l'autre d'une gerbe
de blé. Au-dessus une niche ; A chaque
extrémité de la niche, deux
lions, gueule ouverte te présentent
leurs quatre canines à astiquer.
Je ne touche pas à la partie du haut
qui est vitrée. D'ailleurs, même
pour les lions je grimpe sur un tabouret.
Ce buffet, je l'adore. Plus je grandirai,
plus je le détesterai. Un jour, lassée
de ces gueules de lions, je décide
que dans mon futur chez moi j'aurai des
caisses à savon. J'en ai vu de très
jolies recouvertes de coussins, enjuponnées
de volants en cotonnade fleurie. Mon oncle
Fernand, le frère de Papa, est monteur
en minoterie. Il refait entièrement
l'intérieur des moulins. C'est là
qu'on fabrique la farine. Le moulin est
électrique mais la charpente et les
engrenages sont en bois. Tonton travaille
magnifiquement le bois. Il a une superbe
maison à La Ferté-sous-Jouarre,
mais il n'y est jamais. Il va en déplacement,
six mois ici, neuf mois ailleurs, cela dépend
des moulins. Sa femme Hélène,
dite Nénette, part avec lui. Ils
emportent du linge, de la vaisselle... dans
des caisses à savon qui une fois
vidées deviennent de gentils guéridons
ou des poufs confortables. Leur fils Jean,
dit Nanou, a un coffre à jouets de
même nature. Nous sommes allés
à Bar- le Duc voir mon oncle et ma
tante. Ils ont loué une maison rustique
que tata Nénette a arrangé
avec beaucoup de goût. Elle est couturière
de son métier et a confectionné
des doubles rideaux douillets. Pas de lions
à épousseter, juste du tissu.
Voilà une bonne idée de maison
!
La famille, c'est très important.
Il y a même des gens qui ne sont pas
vraiment de notre famille mais qu'on aime
tellement...
Ainsi, Mémère Julienne et
Pépé Auguste Sakaël sont
les grands-parents paternels de mes cousins.
Bon j'explique : la sur de Maman,
Elisabeth, a épousé Pierre
Sakaël. Ils habitent Reims mais ne
viennent jamais dans la région parisienne
sans passer au moins une nuit à la
maison. Nous sommes heureux de les voir,
ils sont si gentils. J'ai deux vraies grand'mères,
un vrai grand-père, une arrière
grand'mère. Dans ma vraie famille,
ils sont tous petits et menus. Mémère
Julienne et Pépé Auguste sont
grands et forts en véritables Vosgiens
et Alsaciens qu'ils sont. Auguste porte
toujours un gilet sous la veste. Il en sort
machinalement une montre à gousset
qu'il n'ouvre jamais. Julienne porte toujours
des robes légères et fleuries
car elle n'a jamais froid. Pépé
Auguste a une étrange particularité.
Pendant la guerre de 1914-18 il a reçu
une balle dans la nuque... et elle est toujours
là. De temps à autre elle
se déplace et cela le gêne
un peu. Il dit que c'est pour cela qu'il
ne peut pas danser le charleston. Mais il
valse admirablement malgré sa carrure.
Mémère Julienne dit en souriant
que la balle est un bon prétexte
pour cacher un excès de poids. Elle
ajoute en s'approchant de l'oreille de Maman
que même un moteur d'aéroplane
n'arriverait pas à le faire décoller
du sol. Je m'étouffe de rire m'imaginant
Pépé Auguste, bras écartés,
faisant un petit vol plané au-dessus
de la maison.
Dès leur arrivée, après
un rapide bisou, je me précipite
sur le sac de Mémé au grand
scandale de Maman. Mais puisqu'il y a toujours
un petit cadeau, pourquoi ne pas savoir
tout de suite ! Le cadeau, rapidement débarrassé
de son gros nud doré et de
son papier fleuri, apparaît. Aujourd'hui,
entre autres, il y a un moulin à
vent en Celluloïd multicolore. Tu tiens
le manche en bois, tu souffles de toutes
tes forces sur les ailes et le moulin tourne
tellement vite que tu ne vois plus qu'un
arc-en-ciel de couleurs. C'est magnifique
! Je saute sur les genoux de Mémé,
et là, c'est un ravissement. Mémé
est toute dodue, ses jambes sont plus moelleuses
que les coussins de la salle à manger,
ses "lolos" où je niche
ma tête, plus doux que mon oreiller
de plumes ! Et le câlin dure longtemps.
Mémé prétend que mes
cousines ne sont pas très affectueuses,
et ne répondent pas à ses
baisers. Avec moi, elle est servie.
Nous sommes Dimanche. Mémé
s'est occupée de moi. J'ai une robe
neuve avec un gros nud dans le dos,
des socquettes blanches, ajourées,
des souliers vernis et bien sûr un
énorme chou de ruban sur le dessus
du crâne retenu sur la nuque par un
élastique. Mes cheveux ne sont pas
assez abondants et aucune barrette ne tient,
elle glisse au bout de la mèche.
Ma famille est catholique. On va donc à
la messe... Enfin pas tous les dimanches.
Certains dimanches où Papa travaille
à la S.N.C.F. Maman met tellement
de temps pour nous préparer qu'on
arrive pour l' "ite misa est"
c'est vous dire qu'on fait le grand signe
de croix de la fin et qu'on ressort papoter
avec les connaissances de Maman. Les dimanches
où Papa est là, il est dispensé
de messe et garde Dédé ; alors,
Maman et moi, on arrive presque au début.
Donc, nous voici endimanchés, nous
hâtant vers l'église Saint-Augustin.
Dans l'église on n'a pas le droit
de rester en famille. Je ne sais pas pourquoi
les hommes sont d'un côté,
les femmes de l'autre, c'est bizarre. Les
chaises empaillées à l'ancienne
ont une particularité : elles ont
deux hauteurs de cannage. Le premier cannage
se trouve à la hauteur d'un siège
normal. Au moment de l'Elévation,
tu retournes ta chaise, je veux dire que
tu la mets devant toi, tu soulèves
le siège et tu peux te mettre à
genoux sur un prie - dieu. Là, tu
dois baisser la tête et ne pas regarder
du tout ce qui se passe à l'autel.
Quand l'enfant de chur agite sa clochette
tu peux relever la tête. Mémé
Julienne me fait donc asseoir à côté
d'elle. Promptement je me remets debout.
Elle fait un geste de la main m'invitant
à prendre place. Trente secondes
assise, puis me voilà de nouveau
debout. Cette fois elle fronce les sourcils.
Plus elle insiste, plus je fais non de la
tête. L'imposante Mémé
ne vient pas à bouts de cette récalcitrante
et minuscule Claudette. Cette petite si
docile ! Mémé se plie en deux
et murmure à mon oreille :
- Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Mais, Mémé, la paille ça
pique, je ne peux pas m'asseoir, je n'ai
pas de culotte !
Dans sa hâte de me faire belle,
Julienne avait oublié la petite culotte
! Cette histoire fit le tour de la famille
et on se la racontait encore des années
plus tard.
Puis vient l'automne et je me mets à
courir après les feuilles mortes
que le vent fait tourbillonner. J'aime me
précipiter vers les feuilles qui
s'envolent. Elles volettent, montent et
redescendent. Au moment où elles
passent à ma portée, je les
saisis avec énergie. J'attrape du
rouge, du jaune, du vert et du marron, mes
couleurs préférées.
Ces feuilles sont plus belles, plus brillantes
et plus lumineuses que celles qui traînent
sur les trottoirs. Elles deviennent vite
boueuses, ternes, écrasées
par les pieds des passants qui se hâtent
et ne les regardent même pas ! Je
collecte autant de feuilles de platanes
et de marronniers que je peux en porter.
Parfois je tire sur les branches qui dépassent
des grillages et je récolte des feuilles
de troène ou de vigne-vierge. Maman
fait un tri terrible et jette presque tout.
Puis elle aplatit celles qu'elle juge dignes
d'être conservées. Elle sort
de vieux "Echo de la mode". Comme
cette revue n'est pas assez large pour mes
feuilles, elle l'ouvre. Et hop ! Un "Petit
écho de la mode" sous les feuilles,
et hop ! Un autre par-dessus, et hop ! Le
gros dictionnaire rose sur le tout. Il ne
reste plus qu'à attendre que ça
sèche. Bien sûr, j'en cache
quelques-unes, mais le résultat n'est
pas merveilleux. Je les ressors, mes mains
ne ramènent plus que de vagues morceaux
secs et effrités. Cela me rend triste.
Maintenant il fait froid. Je colle mon
nez à la fenêtre et ne vois
que de vilains troncs gris, tout nus avec
des branches bêtes qui tendent les
bras vers le ciel. Que c'est " moche
!" Pour me distraire Maman m'apprend
à tricoter. J'aime bien. Avec des
aiguilles du "3" ni trop grosses
ni trop fines, je fais des rangs de mailles
à l'endroit, des mailles à
l'envers et du point de riz. Je ne sais
pas encore fermer les mailles pour terminer
mon tricot mais comme dit Maman, ça
viendra !
Je suis une fille et je m'appelle Claude.
Mes Parents ayant décidé qu'ils
auraient un garçon, ont bien été
embarrassé à ma naissance
: Ils n'avaient à leur disposition
que des prénoms de garçons.
Très rapidement Claude devient Claudette.
A la naissance d'André, dit Dédé,
je deviens Dédette. Vous ne trouvez
pas ça gentil, Dédé
et Dédette, les enfants de Jean et
Denise ? J'apprends donc à écrire
"Dédette" sur une belle
page où Maman a tracé des
lignes car au Nouvel An il faudra signer
l'incroyable quantité de cartes de
vux expédiée à
l'ensemble de nos connaissances. Je ne sais
pas lire mais je tourne les pages du Nouveau
Petit Larousse illustré. Il est rose
de tous les côtés. Sur la couverture
cartonnée de ce gros livre on voit
une femme, une fée aux cheveux longs
qui souffle sur une fleur de pissenlit.
Elle porte une couronne de laurier. Derrière
elle des nuages rouges et blancs courent
vite. Elle n'est pas habillée. Ce
livre est très beau. Mais à
mon avis je ne peux pas lui faire confiance.
Voilà, l'autre jour j'avais vu des
drapeaux. Drapeaux, ça commence comme
Dédette par un D. Et je tourne les
A. J'arrive aux D, je cherche sur toutes
les pages commençant par D. Je ne
retrouve pas mes drapeaux. Je m'énerve
et je hurle : "Maman, mes drapeaux
ont disparu ". Maman s'approche et
lentement va jusqu'au P de Papa. Regarde,
dit Maman, j'ai retrouvé tes drapeaux,
ils sont à Pavillons. C'est bien
ce que je dis, ce n'est pas un livre sérieux.
Le froid, la pluie, la neige, le verglas
prennent place et viennent à tour
de rôle pour nous empêcher de
sortir. Le seul jour où j'ai voulu
jouer dans la cour sous un faible rayon
de soleil, j'ai attrapé un bon coup
de froid. Je me suis mise à tousser.
Maman m'a allongée sur le ventre,
a sorti de la pharmacie des petits pots
en verre. Ils ressemblent à des pots
de confiture, modèle réduit,
mais plus ronds et plus dodus, cela s'appelle
des ventouses. J'ai une peur épouvantable.
Une fois, la porte de chambre de mes Parents
était entrebâillée.
J'ai aperçu Papa le dos couvert de
lignes de ventouses. Il a dit : "Attention,
Denise, c'est chaud." Alors, j'ai peur.
Maman met un bout de coton dans la ventouse
y porte l'allumette pour faire flamber le
coton et vivement retourne la ventouse sur
mon dos. Je n'ai presque rien senti. Bon
je suis bien soignée.
Une chose horrible m'est arrivée
vers la fin de l'hiver. J'avais mal aux
oreilles, à la gorge, je mouchais,
je toussais bref je manquais nettement de
dynamisme. "Y'a qu'une chose à
faire, dit Maman, le cataplasme." Elle
trempe un rectangle ni vert ni marron dans
une cuvette et l'applique sur mon dos puis
disparaît dans la cuisine pour éplucher
la purée. Je pleure doucement puis
de plus en plus fort. Maman accourt, retire
précipitamment le cataplasme mais
il est trop tard, mon dos est bien brûlé.
Voilà, cela s'appelle se soigner
! Et bien quand j'serais grande, j'me soignerais
pas !
Enfin nous préparons Noël.
Le sapin est splendide et occupe complètement
l'angle entre la fenêtre et le buffet
de la salle à manger. J'aide Maman
à le décorer. D'abord on déballe
les boîtes qui dorment toute l'année
au-dessus de l'armoire. Première
chose à faire : suspendre à
l'aide de crochets métalliques les
petits personnages en bois peint. Le Père
Noël sur son traîneau me plaît
beaucoup ; alors je veux l'accrocher mais
Maman décide de le mettre en dernier
pour qu'on le voit mieux. Je ne suis pas
d'accord. Ensuite j'étale côte
à côte des pinces en fer surmontées
de petites dents. J'enfile une vraie bougie
entre les dents, je resserre pour maintenir
la bougie bien droite. Enfin on étire
les guirlandes dorées. Ah ! J'oubliais,
les boules multicolores, si belles et si
fragiles qui cassent dès qu'on y
touche. Il reste à entourer le pied
du sapin de "papier rocher". Sur
le buffet trône une crèche
minable ; elle est laide et les personnages
sont délavés. Franchement,
il faudrait bien en acheter une autre.
Aujourd'hui je fais semblant d'être
sage car ce soir je dépose mes chaussons
au pied du sapin. J'épluche péniblement
deux carottes pour les rennes du Père
Noël. Je pose un grand verre de lait
et une barre de chocolat bien en évidence
sur la table. Je pars me coucher mais il
est difficile de s'endormir un pareil soir.
Une aube blanche pénètre
à peine par les fentes ovales de
mes volets. Je me lève et cherche
à tâtons le bouton électrique.
Il brille très légèrement
parce qu'il est rond et bombé ; de
plus il est en cuivre et chaque semaine
Maman l'astique au Miror. Je bute dans mes
chaussons et trouve enfin le bouton. Je
me précipite dans la salle à
manger et je hurle à réveiller
tout le quartier : " Le Père
Noël est passé ! Le Père
Noël est passé !"
Au pied du sapin nos quatre paires de chaussons
ont totalement disparues sous une avalanche
de cadeaux. Je ne me souviens pas des autres
Noëls, mais cette année il est
pratiquement impossible de rentrer dans
la salle à manger. En biais, une
voiture rouge à pédales m'attend.
Je saute dedans. Hélas ! Mes pieds
n'atteignent pas les pédales. Je
bondis furieuse à l'extérieur
et me cogne dans le capot en fer. Je suis
incroyablement déçue. Plus
loin, près du buffet, un chariot
alsacien avec des volants et des nuds,
un couvre-pieds fleuri, des draps brodés
contient un baigneur en Celluloïd.
Un chariot alsacien c'est une sorte de lit
à roulettes en osier ; en fait, cela
ressemble d'avantage à un landau
à cause de la capote. Un baigneur,
c'est un gros poupon, de la taille d'un
vrai bébé. Ses cheveux châtain-clair,
courts et ondulés sont peints. Il
a des yeux bleus, très bêtes.
Ses bras et ses jambes sont mobiles. Heureusement
pour lui, il est habillé d'une barboteuse,
d'une veste et d'un bonnet en laine tricotée
car j'ai la ferme intention de ne pas m'occuper
de lui. On croirait que le Père Noël
m'a apporté un deuxième petit
frère ! Je déteste ces jeux
de fille idiots. C'est pourquoi dix-sept
ans plus tard ma petite sur pourra
jouer avec ce baigneur presque neuf. Les
élastiques des bras et des jambes
étant réduits en poudre, Maman
les a simplement changés.
Et la dînette, quelle stupidité
! J'aime suivre Maman dans la cuisine et
l'aider "pour de vrai". Le seul
objet qui m'intéresse dans ma dînette,
c'est "le gaz" en fonte à
deux trous. Je m'en sers comme de jumelles
pour regarder dehors. Parfois, il devient
marque-page dans les grands albums de contes
de fées. Mon petit frère a
aussi beaucoup de nouveaux jouets. Je me
demande bien où on va les mettre.
Quand Dédé est dans son parc,
il trébuche sur des tas de joujoux
encombrants. Papa essaie une belle chemise
bleu-ciel et une cravate unie bleu-foncé.
Il s'exclame : "Juste à ma taille,
décidément le Père
Noël sait tout." Maman admire
un corsage à manches longues et des
bas de soie. Elle est enchantée.
Dans nos chaussons il y a des crottes en
chocolat et des mandarines. Deux mandarines
chacun, c'est merveilleux. Elles sont emballées
dans du papier aluminium. Dire qu'il faudra
attendre l'année prochaine pour en
manger deux autres.
Ayant enfin achevé le tour des cadeaux,
je constate que le Père Noël
a bu son verre de lait et a mangé
le chocolat. Les rennes ont à peine
grignoté les carottes. Cela m'indigne
mais Papa m'explique que tous les enfants
préparent des carottes. Il ajoute,
sûr de lui :
" Cette année nous devions
être en fin de tournée, alors
les pauvres rennes n'avaient plus faim en
arrivant à la maison."
Cela me rassure, je croyais que mes carottes
étaient trop dures.
Pas de fête de Noël sans les
grands-parents et un repas interminable.
La nourriture ne m'intéresse pas
du tout. Je "pignoche" un peu
de purée avec un puits au milieu
et beaucoup de sauce de dinde. Je mâche
pendant une heure les petits bouts de viande
cachés dans la purée. Quelle
corvée de manger ! Et cette écurante
bûche de Noël, grasse, pleine
de beurre, quelle horreur !
Plus tard dans l'après-midi, je
me régale de... l'odeur du papier
glacé de mes nouveaux livres d'images.
Je les caresse, je les respire, bref je
suis enfin heureuse. Quand je serai grande,
je serai libraire.
Mars 1939. J'ai quatre ans et demi et je
m'ennuie à la maison. Mes Parents
décident qu'il est temps pour moi
de retourner à l'école maternelle.
L'an passé à la même
époque, j'avais fait un premier essai,
juste l'après-midi. Dès mon
arrivée, la femme de service me couchait
et je faisais la sieste jusqu'à l'heure
du goûter. Tout de suite après,
c'était "l'heure des Mamans".
Aucune activité, alors que je faisais
tant de choses avec Maman. Maintenant je
suis inscrite pour la journée. Dès
la première heure, j'adore la Maîtresse.
Elle est si belle, si douce, elle sent si
bon l'eau de Cologne. Je la voudrais bien
pour moi toute seule. Hélas ! Nous
sommes vingt garçons et filles à
vouloir lui donner la main quand nous nous
promenons dans la cour de récréation.
Heureusement il y a une foule de jeux ;
mais cela ne va pas très bien car
nous nous précipitons tous en même
temps sur le même jeu. J'apprends
à me battre, à me défendre
mais vue ma frêle constitution je
me retrouve souvent le nez dans le bac à
sable ou les fesses par terre. Alors la
Maîtresse accourt et me console. Je
n'avais pas pensé à ça,
mais un genou écorché me permet
d'être dorlotée. En classe
nous faisons de la peinture, de la pâte
à modeler, j'adore cela. A la maison,
je ne fais que des choses propres. Avec
du papier et des ciseaux, je fais des découpages,
des guirlandes de bonhommes qui se donnent
la main, des napperons ajourés. J'ai
des crayons de couleurs et une grande quantité
d'albums à colorier que je ne termine
jamais. A l'école c'est la joie !
Je peins avec un doigt trempé dans
le pot de peinture. A plat ventre sur le
sol nous peignons de grandes fresques. J'ai
un tablier spécial pour la peinture
que Maman a confectionné dans un
de ses anciens tabliers de cuisine. C'est
bien enveloppant mais les manches ne sont
pas protégées et les manches,
c'est ce qui frotte le plus sur la couleur
humide... Nous plantons des haricots sur
du coton, nous chantons, nous faisons des
rondes. Nous faisons une chose formidable,
cela s'appelle de la gymnastique. C'est
un mot bizarre et je ne le dis pas parfaitement.
Pour la gymnastique, nous sommes en rond
et parfois les uns derrière les autres.
Nous mettons notre nez sur nos genoux et
les mains sur les pieds, c'est très
amusant. Le matin, nous faisons du "vocabulaire".
Nous nous asseyons par terre devant le bureau
de la Maîtresse. Elle nous raconte
une histoire ; ensuite nous devons répondre
aux questions qu'elle nous pose ; nous voulons
tous parler et ça fait un tel bruit
qu'on n'entend même pas les choses
intéressantes que j'ai à dire.
D'abord cette histoire je la connaissais
déjà. Maintenant j'écris
Claudette sur tous mes dessins. Il n'y a
pas classe tous les jours. J'ai un jour
de repos, comme Papa. Pour moi, c'est le
jeudi et Papa n'importe quand, vu qu'il
travaille à la S.N.C.F.
Je suis heureuse : Quand je serai grande,
je serai Maîtresse d'Ecole.
14 Juillet 1939. Nous avons préparé
une grande fête pour la fin de l'année
scolaire, on dit La Distribution des Prix.
Nous avons appris une pièce de théâtre
et des chansons. Je suis habillé
en garçon, avec une culotte à
bretelles et une chemisette. C'est l'histoire
d'un enfant sage qui mange bien sa soupe...
Et qui grandit, qui grandit. Au début
de la chanson je suis assise par terre.
La Maîtresse fait semblant de me faire
manger avec une énorme cuillère
en carton. Au deuxième couplet je
suis assise sur un petit banc et j'avale
une autre cuillère. Je grandis et
je monte sur le banc. A la fin, j'ai tellement
bien mangé que je suis debout sur
une table de classe. Les Parents nous applaudissent
très fort. La Distribution des Prix
commence par un long discours de Monsieur
le Maire, puis Madame la Directrice remercie
pour le matériel que l'école
a reçu cette année et espère
une aide aussi efficace pour l'an prochain.
Les discours sont longs et nous nous agitons.
Pas de goûter pour les remuants, dit
la Maîtresse. Nous nous calmons. Monsieur
le Maire s'assoit sur l'estrade avec d'autres
personnes très importantes. Les Maîtresses
montent sur l'estrade à tour de rôle
et appellent leur classe. Nous montons sur
l'estrade, sages et souriants, a dit la
Maîtresse. Sage oui, souriante non,
je suis bien trop paniquée. Un gros
monsieur moustachu me tend un livre orné
d'un énorme nud. Il me dit
plein de choses gentilles et me fait un
gros baiser. Je lui fais à peine
un bisou parce qu'il pique.
Ce Prix, je lui accorde une tendresse particulière.
Si vous êtes ignare et que vous n'avez
jamais lu "Le conte de la Marguerite",
filez chez votre libraire, courez au rayon
Père Castor, il est réédité.
La Marguerite a tellement aimé son
petit mouton, qu'elle l'a cherché
jusqu'au sommet de la montagne. Je suis
décidée, quand je serai grande,
j'aimerai tellement les enfants que je m'en
occuperai toute ma vie.
Je serai Institutrice. Une vie merveilleuse
m'attend...
Printemps 1938 - Automne 1939. Papa est
gentil, attentif et se montre toujours disponible
au grand désespoir de Maman qui estime
qu'il me pourrit. Ils se chamaillent à
cause de moi et Maman crie :
"Tu la gâtes de trop, on n'en
fera rien de bon !"
Papa a un vélo géant. Un
vélo dont les roues sont plus hautes
que moi. Sur le cadre métallique,
entre sa propre selle et le guidon, il a
installé une deuxième selle
en cuir noir et des cale-pied en bois. Il
me soulève de terre, me dépose
sur mon siège. Ses bras m'entourent
et en avant pour une longue balade. Nous
allons de plus en plus vite, j'agite la
sonnette pour prévenir les passants
que nous arrivons mais cela est inutile
car Papa est prudent. Je suis folle de joie
! Vive Papa !
Ces merveilleuses promenades à bicyclette
dureront jusqu'au début Septembre.
Le Papa gentil, attentif, partira pour la
guerre. Celui qui reviendra en 1945 sera
un étranger, grognon, renfermé,
violent parfois. La guerre m'a volé
mon Père.
Montpellier, du 1er au 15 novembre 1995 |