Éclipse de soleil du 11 août 1999 - Saint Valéry en Caux (France)
L'émotion suscitée par une éclipse totale
de soleil est bien difficile à exprimer. Expliquer à
un tiers, qui n'était pas présent, tout ce que
nous ressentions, ce que nous avions vécu de fabuleux,
de magique et de mystérieux lors de ces quelques instants,
est une tâche laborieuse. Certains pensent même qu'on
les snobe, alors que nous tentons seulement de partager un vécu
singulier et exceptionnel.
Pour moi, l'éclipse était un moment à
ne pas manquer. Phénomène à la fois compréhensible
et visible, l'éclipse, tout comme la comète plus
mystérieuse encore, nous offre la chance de vivre l'astronomie.
C'est en famille que nous sommes partis en pèlerinage
aux alentours de Fécamp, à Saint Valéry
en Caux. Depuis plusieurs semaines déjà, voire
plusieurs mois, l'éclipse du 11 août 1999 alimentait
les conversations, les journaux en manque de sensationnel durant
les jours d'été, et la télévision
à laquelle nous avons échappé pendant les
vacances estivales. Tout le monde en parlait, et nous également.
Finalement, c'est par nos propres moyens, et sans recours
aux savants commentaires ni aux images projetées sur écran
géant que nous vivrons l'éclipse. Un peu comme
ceux, il y a quelques siècles, qui la prédisaient,
l'attendaient, la craignaient parfois.
Direction les falaises du beau Pays de Caux, ni trop près
du bord, pour les enfants, ni trop loin, pour cependant profiter
du paysage marin. Le pique-nique est près, les appareils
photos sont chargés, le sténopé est terminé
et, bien entendu, chacun tient sa paire de lunettes spéciale
éclipse 1999.
Les enfants savent tout de ce qui va se produire. Chacun a
bien expliqué ce que ces quelques minutes auront de particulières
bien que personne ne l'ait vécu auparavant. Mais si le
phénomène physique est aisé à faire
comprendre, nous ne savons rien de ce qui nous attend.
Donc, nous voici installés proches de falaises. Pas
seuls : l'endroit est investi par d'autres curieux qui arborent
un regard argenté, tourné vers le ciel, et qui,
comme nous, pensaient être plus tranquilles ici. Et nous
le sommes, sans aucun doute.
Le temps est chaud mais
mais le soleil joue à
cache-cache avec les nuages. Comme les derniers jours d'ailleurs
! Alors, éclipse en vue ou éclipse hors vue ?
Tous à vos lunettes. Le sténopé, réalisation
de Ghislain, notre fils, et de son grand-père, fonctionne
bien, au grand étonnement de tous. Gens de peu de foi
! Par moment, les nuages nous laissent voir le soleil : l'éclipse
est commencée. En effet, une boule noire grignote le soleil,
l'attaquant par le sud-ouest, si je puis dire !
Rapidement, la température baisse. Les vêtements
chauds sortent des sacs, où nous n'avions pas manqué
de les y mettre. Le temps passe vite, et les nuages jouent avec
nos espoirs. L'éclipse progresse et nous n'en manquons
pas un brin. Tout le monde est tête levée, tournée
vers le même objectif, avec le même regard.
Seul Guillaume, jeune cousin de Ghislain, du haut de ses un
an, étranger à cette agitation, et plus terre à
terre que nous, regarde ailleurs : vers son repas ! Il se demande
bien pourquoi nous allons nous balader à chaque fois que
c'est l'heure de manger.
Plus qu'un demi-soleil de visible. Nous regardons autour de
nous : non, pas de pénombre, pas d'ombre pour l'instant.
Sur la mer quelques voiliers sont de sortie. Les oiseaux marins
ne semblent s'apercevoir de rien.
Le froid se fait plus présent. Dis, c'est normal qu'il
fasse si froid ? Oui, ce n'est pas la fin du monde, juste un
petit trou noir dans une journée ensoleillée. Personne
ne semble avoir prévenu les nuages qu'aujourd'hui, il
doit faire beau. C'est agaçant d'attendre de voir, pour
savoir.
Bientôt 12 heures et 20 minutes. Il ne reste pas grand
chose de soleil. Ça y est : la pénombre arrive.
Nous la voyons presque arriver ! Du coup, le spectacle est sur
la terre. Chacun se tourne et se retourne : oui, la nuit s'approche
! D'ailleurs, Hugo, le grand frère de Guillaume, trouve
qu'il est temps de retourner à la toile, puisque c'est
bientôt la nuit ! Cette fois, la faune marine est déroutée
: mouettes et goélands piaillent sans discontinuer.
Et le soleil dans tout cela. Tiens, mais où est-il
? Deuxième nuage à gauche ! Comment ça 'nuage',
pas maintenant ! La nuit s'installe et nous déposons les
lunettes. Il fait nuit, certes, mais pas nuit noire. Près
de la mer, nous voyons trop loin ! Là bas, au fond, trop
près d'ici, il fait encore jour ! Dommage ! Pas d'étoiles
non plus : trop de nuages ou pas assez de nuit noire ?
Nous n'allons tout de même pas vivre l'éclipse
de soleil éclipsée par un nuage ? Si ? Non ! Voici
le soleil, ou plutôt la lune. Quelle vision singulière
que celle du soleil caché par la lune ! Sur les contours
de la forme noire, des lumières scintillent. Les appareils
photos fonctionnent à plein temps. Sauf qu'il aurait fallu
une pellicule de 100 poses !
A cet instant, nous vivons, nous participons à un événement
qui dépasse l'homme. De telles forces, de telles distances,
de telles masses sont en jeu ! C'est à la fois beau et
surprenant. Bien que la physique explique tout le phénomène,
le moment est magique. Le long de l'immense ruban des observateurs
qui jalonnent la falaise jusqu'à l'horizon jaillissent
les étoiles des flash pendant que monte au ciel une clameur
émerveillée.
Notre soleil n'est plus là, et il est midi passé.
Nul doute que les civilisations passées aient été
à la fois intriguées et paniquées par ces
éclipses qui, en fait, n'annonçaient rien d'autre
que la nouvelle lune !
Tout le monde s'exclame, s'interpelle, s'émerveille.
C'est un de ces moments d'une vie qu'on garde gravé. C'est
un instant unique, chargé d'émotion, comme une
récompense longtemps attendue, comme la réponse
à un appel mainte fois lancé. C'est un signe :
celui qui accompagne un moment de bonheur. J'échange un
baiser avec ma femme, moment magique partagée sous le
regard aveugle de la lune et du soleil réunis.
Autre moment fort : le retour du soleil. Un tout petit éclat
de soleil tout d'abord. Vite, tous aux lunettes ! Et oui, le
revoici. Nous n'en doutions pas, mais tout de même ! Très
vite, trop vite, le jour revient. La température reste
la même par contre. Et elle le restera longtemps, trop
longtemps de l'avis de nos épouses. Les oiseaux reprennent
une activité normale, convaincus qu'en criant assez fort,
ils ont fini par avoir satisfaction !
Les touristes de l'éclipse s'éloignent, retournent
à la plage. Mais l'éclipse se poursuit : le soleil
reprend possession du ciel, la lune s'éclipse ou presque
! Nous restons jusqu'au tout dernier moment, lorsque la lune
ne recouvre plus qu'un infime morceau du disque solaire. Magique
!
Nous sommes heureux, un peu euphoriques. Ceux qui n'étaient
pas là nous ont manqué. Alors nous les avons appelés
dès la fin de l'éclipse totale, pour partager un
peu de bonheur, un peu de présence, un peu d'amour
Quel coup de chance, tout de même, que le diamètre
apparent de la lune soit approximativement le même que
celui du soleil ! Et si la lune ne tournait pas sur l'écliptique
? Et si la distance de la terre à la lune était
plus grande, comme dans quelques
millions d'années
? Et si
Et non : tout est en place, et c'est l'éclipse
!
Il sera impossible d'attendre la prochaine éclipse
visible en France, vers 2080. Non, il va falloir aller en vivre
une autre, ailleurs
L'éclipse du 11 Août
1999, vécue en famille :
Claudette et Michel,
Marie-Andrée et Dominique et Ghislain,
Annick et Sylvain et Hugo et Guillaume
Ablis, version du 19 septembre 1999 |