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Notre petit monde - Site de la famille Prévot

Dominique Prévot

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28 XII 2015

L'Héritage dissonant - © Dominique PRÉVOT
Chapitre 5
Malgré l'heure tardive, nous n'eûmes point de difficultés à prendre un fiacre, qui nous déposa rapidement devant le 221b. Mrs Hudson nous attendait, visiblement inquiète.

- Il y a du monde, là-haut, qui vous attend, Mr Holmes. C'est aussi du travail pour vous, Docteur. L'une des personnes semble blessée.

Nous grimpâmes prestement les quelques marches, et découvrîmes la présence de Herr Von Freiburg, et de Mr et Mrs Russell. Le chef d'orchestre était allongé sur le divan. Dès notre entrée, Mrs Russell s'approcha de nous. Elle avait perdu son air sévère et dominateur, au profit d'un visage de jeune fille inquiète et perdue.

- Ah, Mr Holmes, Docteur. Il est arrivé un grand malheur, dit-elle.

- Votre père est gravement blessé ? demanda Holmes.

- Il saigne beaucoup. A son âge, j'espère que cela sera sans gravité. Vous pouvez vous occuper de lui Docteur ?

- Bien entendu, dis-je, m'emparant de ma trousse.

Repoussant Mr Russell, j'auscultai le chef d'orchestre viennois. Heureusement, et bien qu'il ait saigné abondamment, la blessure était peu profonde, et je m'empressai de rassurer tout le monde. Après l'avoir dûment bandé, je lui administrai un sédatif, et il s'endormit rapidement.

 
Peu après, Holmes, tirant sur sa pipe, était installé dans son fauteuil, et moi dans le mien. Mr et Mrs Russell, tous les deux très pâles, était assis l'un près de l'autre se tenant par la main. On n'aurait su dire lequel des deux réconfortait l'autre.

- Depuis combien de temps savez-vous que Herr Von Freiburg est votre père, Mrs Russell ? demanda Holmes d'une voix presque affectueuse.

- Je l'ai toujours su. Comment l'avez-vous deviné ?

- Je ne devine jamais. C'était la seule explication logique. Voilà un homme âgé qui rencontre une belle jeune femme en cachette de son mari. Il possède une maison où il la rencontre, il la reçoit dans sa chambre, et elle s'allonge sur son lit, mais repart. Il ne s'agissait donc pas d'une rencontre galante. D'un autre côté, comment est-il concevable qu'une femme accepte de s'allonger près d'un homme, si ce n'était un proche ?

- Vous avez été plus lucide que moi, dit Mr Russell d'une voix étouffée.

- Vous avez contre vous les sentiments très forts qui vous lient à votre femme, et vous aveuglent, jeune homme, rétorqua sèchement Holmes. Et maintenant, si vous nous racontiez toute l'histoire Mrs Violet Russell, née Strauss ?

Elle jeta un rapide coup d'œil vers son époux, et se serra un peu plus contre lui, comme si l'heure avancée la rendait frileuse.

- Mon père était un ami de Johann Strauss. Avant cela, il avait commencé comme musicien, puis avait dirigé une petite troupe de musique. Il fut immédiatement conquis par la valse, et par la musique des Strauss. Pour lui, vivre dans l'ombre de la célèbre famille était un enchantement. Il se prit même à s'attacher à une cousine de Johann. Il s'amouracha de cette belle femme, mais qui était déjà mariée à un homme pédant et qui la négligeait. Je ne cherche pas d'excuses à mon père, Mr Holmes. Mais j'ai connu cet homme pendant des années, et je pense pouvoir en parler en conscience. Lorsque ma mère me mit au monde, elle voulut que mon vrai père devienne mon parrain. Mais son mari s'y opposa. Avait-il soupçonné quelque chose ? En tout cas, il n'en dit rien, mais il interdit à ma mère de le revoir. Ma mère était une femme pleine de ressources, et arrivait fréquemment aux buts qu'elle se fixait. Je ne sais s'ils se sont revus, mais elle s'arrangea tout de même pour qu'il soit mon maître de musique. Et c'était toujours avec beaucoup de bonheur que je passais des heures en présence de ce monsieur, si attentionné et si bon avec moi. Tout ce que je connais de la musique, je le lui dois. Même s'il ne m'a pas élevé, je me sentais beaucoup plus proche de lui que de mon père officiel. C'est Père qui me présenta Jack. Je dois vous avouer que j'ai demandé à mon père, mon vrai père, l'autorisation de l'épouser. Jack était si timide qu'il n'osait même pas m'en parler !

- Vous êtes une femme qui sort de l'ordinaire Mrs Russell, dit Holmes.

- Vous savez, je me suis toujours débrouillé seule. Mon véritable père ne m'a pas appris que la musique. Il me prêtait des livres qui traitaient de tous les sujets : la musique, bien entendu, mais aussi des thèmes réservés d'ordinaire aux hommes. Je lus même certains ouvrages de Jules Verne ou du Docteur Watson. Je peux dire que c'est grâce à lui que je suis devenue la femme que je suis. Je n'ai appris ce qu'il était pour moi que le jour de notre mariage. C'était l'un de ses présents. Il dirigea le bal, après avoir laissé la famille Strauss montrer son talent, il va sans dire. Il dansa même avec ma mère. Ce fût pour moi un véritable moment de ravissement. Les deux êtres que je chérissais le plus au monde étaient dans les bras l'un de l'autre, et je tenais le troisième dans mes bras. Ce que je n'avais pas prévu, c'était que Jack chercha à m'éloigner de lui. Il tâchait d'être présent à chaque fois que je le voyais. Je crois qu'il était jaloux. Un jour, Jack parla de partir en Angleterre. Je me réfugiais chez Père. Il me consola, mais me fit comprendre qu'un père ne peut être toujours présent auprès de sa fille. Et que, maintenant, avec Jack, nous formions un couple. Ne vous méprenez pas Messieurs : j'aime mon époux. Mais j'aurais tant voulu qu'il sache que si j'avais tant de tendresse pour la personne qui nous avait présentés, c'était uniquement parce qu'il s'agissait de mon véritable père. Mais pour ne nuire à personne, nous ne lui dîmes rien.

- C'était nous nuire à nous-mêmes, Violet, intervint Jack Russell d'une voix douce.

- C'est vrai. Cependant, Père venait à Londres à chaque fois qu'il le pouvait. Nous le recevions à la maison, mais pour que nous puissions nous voir seuls, il avait acheté une maison.

- A Fleet Street, ajouta Holmes.

- Mr Holmes, comment savez-vous cela ? demanda la jeune femme.

- C'est mon métier madame. Mais continuez. Parlez-nous des partitions.

- Lorsque Père nous annonça qu'il serait présent pour nos douze ans de mariage, j'étais enchantée. Il nous annonça même qu'il nous inviterait à un concert exceptionnel, et qu'il dirigerait certaines œuvres très particulières. Je ne savais pas que Père avait des partitions originales de mon oncle. Jack et moi ne l'apprîmes que lorsqu'il vint nous les apporter à l'école, pour les recopier. J'étais immensément heureuse. Des œuvres originales, sous la direction de mon père, et pour notre anniversaire de mariage. Aucune fille ne peut nourrir de rêve plus merveilleux. J'imaginais sa direction en harmonie avec les notes que je déchiffrais, ce qui accentua mon impatience. Hier, j'ai revu Père, sur une envie subite. Comme nous n'avions pas prévu de nous voir, j'allais dans sa chambre d'hôtel. J'étais heureuse. Je me blottis dans ses bras, comme une petite fille.

- Mais c'est lui qui est revenu vous voir ce matin.

- Oui, très tôt. Je pensais que Père ne vous l'avait pas dit. Toujours est-il qu'il est arrivé sous la pluie, perturbé à l'extrême. Il me fallut le calmer avant de comprendre que les partitions lui avaient été volées. Les partitions et les copies qui étaient avec. Père était effondré. Il m'avoua qu'il comptait me donner l'ensemble des partitions de mon oncle. Une sorte d'héritage. Je lui suggérais de consulter la direction de l'hôtel, puis nous sommes convenus de nous revoir ce soir, chez lui. Je ne savais pas encore le drame que nous allions vivre.

- Devant ma femme, et en votre présence, je me dois de raconter mon aveuglement, interrompit Mr Russell. Je n'ai d'excuses que l'amour que je lui porte. Il fallait que je sois aveugle pour me méprendre sur ces rencontres qu'elle affectionnait tant. J'étais jaloux de mon beau-père, et je ne le savais même pas. Cet homme, avec qui j'avais partagé tant de moments forts de la vie viennoise, m'était devenu insupportable. Ou plutôt, le savoir avec Violet en mon absence m'obsédait. Je pris la résolution de quitter Vienne et de partir pour Londres, offrant à ma femme d'y organiser l'école de musique dont elle me parlait depuis si longtemps. Nous avons continué de voir Hans, mais plus autant qu'auparavant. Il venait à la maison de temps à autre, lorsque ses répétitions et ses concerts lui en laissaient l'opportunité. Il y a quelques jours, il est venu à l'école nous présenter des œuvres à copier. Il nous raconta leur origine, et nous demanda le secret. Violet ne parlait plus que du concert auquel nous allions assister, de Hans et de ses partitions. Mes inquiétudes oubliées refirent surface. Hier, ma femme rentra tard dans la soirée, sans me dire d'où elle venait. Cet homme l'attirait à lui, encore, avec ses maudites partitions. Je décidais alors de m'en expliquer avec lui dès le lendemain.

- Comment êtes-vous donc entré dans sa chambre sans forcer la porte ? demanda Holmes avec un intérêt tout à fait professionnel.

- Ce ne fut pas bien difficile, Mr Holmes. Un concours de circonstances. Au moment où je me présentai à sa chambre, la porte était ouverte et j'aperçus Hans qui rangeait quelque chose dans l'armoire. Il était dos à la porte et ne m'entendit pas entrer. Mais je n'eus pas le courage de l'affronter. Je me cachai et le laissai partir. C'est alors que naquit en moi l'idée d'escamoter les partitions. C'était un coup terrible à porter au vieil homme. Je les trouvai immédiatement, mais je dus attendre son retour pour sortir. J'attendis qu'il se rende dans sa chambre pour filer par la porte. Qu'elle fût ma surprise de l'apercevoir à l'école peu après. M'avait-il aperçu dans sa chambre, ou bien au sortir de son hôtel ? Mais je n'en sus rien, car il repartit après avoir vu ma femme. Après votre visite, Messieurs, j'ai craint d'être découvert. J'allai voir Violet et lui proposai de rendre les partitions, si elle me promettait de ne plus jamais revoir cet homme. Nous eûmes une très violente dispute. Finalement, elle partit avec la sacoche. Je ne suis pas un homme à fouiller les affaires de sa femme. Mais je le fis pourtant. Je trouvai dans son secrétaire plusieurs correspondances que Hans avait adressées à ma femme. Il lui écrivait " ma petite fille adorée ", " je t'embrasse tendrement ", " souviens-toi les moments passés ensemble ", et d'autres phrases dont je me mépris sur le sens. Elles étaient adressées à l'école, où ma femme reçoit toujours le courrier. Mais sur l'une d'elle, était mentionné un lieu, " où nous pourrons nous revoir à l'abri des regards ". Je brûlai les lettres et bus plus que j'en n'ai l'habitude. En début de soirée, Violet n'était toujours pas rentrée. Je décidais de me rendre là où je pensais qu'elle retrouvait l'homme qui me la volait.

- Il est arrivé comme un fou, pauvre chéri. Père faisait mine de diriger un orchestre imaginaire avec sa baguette. Jack arracha les partitions que Père tenait à la main. Bientôt, les deux hommes que j'aimais se battirent devant mes yeux. Il y eut des heurts, un vase est tombé, et j'ai entendu un râle. Jack se releva, tenant toujours la sacoche, mais Père était blessé. Sa baguette était fichée dans son épaule gauche. Je m'élançais vers lui...

Le reste se perdit dans un sanglot. Jack raconta comment il avait entendu son épouse appeler Hans " Père ", et tout devint clair en un instant, comme si ce seul mot permettait instantanément à chaque élément de retrouver sa place. Tous les trois convinrent de se rendre à Baker Street. Il y avait là un médecin et un détective conseil, dont les conseils, justement, ne seraient pas de trop.

Suite .../...
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Dominique Prévot
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