Nous arrivâmes devant un entrepôt
de location de véhicules particuliers, dont l'enseigne
très à propos indiquait " Loans and Sons :
cabs, horses
". Holmes passa devant un gardien sans
lui accorder un regard, mené par Toby, qui le conduisait
vers une voiture qu'un homme nettoyait.
- Arrêtez immédiatement
! cria Holmes. Ce véhicule a servi pour attenter à
la vie d'une personne, ne touchez à rien !
L'homme arrêta son labeur et appela son patron, Monsieur
Loan . C'était un petit homme roux et souriant, dont la
bonhomie suscitait à la confiance. Après un échange
rapide de présentation de la situation, Sherlock Holmes
obtint l'autorisation d'inspecter le véhicule. Il l'examina
consciencieusement, aussi bien à l'extérieur qu'à
l'intérieur. Allongé sous le cab, puis à
moitié couché sur le plancher, Holmes poussait
divers bougonnements et grognements.
- Toutes mes félicitations Monsieur
Loan, votre personnel est rapide et efficace, maugréa
Holmes. Il ne reste déjà pratiquement plus aucune
trace du locataire de ce véhicule.
- La piste s'arrête donc ici, constatai-je.
- Pas tout à fait, Watson. J'ai tout de même relevé
la présence de cendres de tabac. C'est un mélange
qui provient d'Inde. Probablement de la région de Raipur.
J'avais en mémoire que mon ami était l'auteur d'un
écrit sur le sujet. Lui seul était capable de reconnaître
plus d'une centaine de variétés de tabac à
partir de cendres !
- Monsieur Loan, savez-vous à
qui cet attelage a été loué ? demanda-t-il.
- Bien sûr, Monsieur Holmes, répondit le petit homme
roux. Si vous voulez bien me suivre.
Il nous mena à travers des locaux jusqu'à un petit
bureau bien entretenu, et où chaque chose semblait rangée
à sa place avec soin. Il saisit un lourd registre, dont
il tourna les pages avec précaution. Il s'arrêta
sur la page du jour, réajusta une mèche sur son
front et nous regarda, confiant.
- Voilà, c'est un certain Monsieur
Edward Harrison, précisa Loan.
- Avez-vous son adresse ? demanda Holmes.
- Je ne sais pas si je puis vous la communiquer. C'est délicat,
cet homme travaille chez une personne connue
- Votre retenue vous honore. Mais si je ne peux mener cette enquête
le plus rapidement et le plus discrètement possible, rien
ne m'empêche d'alerter Scotland Yard. Ils seront suffisamment
lents pour laisser s'échapper les coupables, et ne manqueront
pas de déranger votre homme célèbre
et peut-être avec moins de discrétion que je ne
le ferais. Pensez-vous que votre client serait satisfait de savoir
qu'il vous doit la visite du Yard à son domicile ?
- Non, certes non, répondit Loan, visiblement contrarié.
Vous m'imposez un choix difficile, Monsieur Holmes.
Il prit un papier et griffonna quelques mots qu'il tendit à
Holmes. Ce dernier le lut, et le rendit au petit homme roux.
- Merci, Monsieur Loan. Ne vous inquiétez
pas : je préciserai que vous ne m'avez rien dit, ajouta
Holmes en esquissant un rapide sourire poli.
Sur ces mots nous quittâmes l'entrepôt. Holmes était
perdu dans ces pensées, au point d'oublier Toby que je
partis rechercher. Nous hélâmes un cab afin de ramener
Toby à Pondicherry Lodge.
- Effrayer cet homme avec Scotland Yard
et l'éventuel mécontentement de son client, voilà
qui ne montre guère de savoir vivre Holmes.
- Pas de temps pour les civilités, Watson, grogna-t-il.
La piste se refroidit à chaque instant. Pensez-vous que
les agresseurs attendront l'arrivée de Scotland Yard ?
Je suis désolé d'avoir eu recours à de tels
procédés mais, encore une fois, le temps presse
!
- Qu'y avait-il d'écrit sur le papier, demandai-je ?
- Le nom d'un important négociant, décoré
par la Reine Victoria pour service rendu au Royaume
- Mais encore ?
- Sir Thomas Pilton.
- Le Sir Thomas Pilton ?
- Absolument Watson. L'homme est écossais, d'une cinquantaine
d'années et est l'une des plus grandes fortunes du Royaume
grâce au commerce du thé.
- Oui, bien que je ne pense pas que son idée de vendre
du thé en sachet attire un jour les connaisseurs, ajoutai-je.
Mais certainement, Holmes, vous ne pensez pas un instant que
Sir Thomas Pilton soit mêlé à cette affaire
d'une manière ou d'une autre !
- Nous verrons Watson, nous verrons. Déposons Toby. Ensuite,
j'ai un télégramme à envoyer en urgence.
Puis nous irons voir notre blessé, ce qui vous laissera
le temps de faire honneur au repas de Madame Hudson, mon ami
! Profitez-en bien, nous n'en avons pas fini pour aujourd'hui. |