- Debout Watson, nous allons avoir de
la visite !
La matinée était bien avancée lorsque Holmes
me tira du sommeil dans lequel j'avais fini par sombrer.
- Mon ami, poursuivit-il, je ne saurais
me passer de vous pour finir cette affaire. Votre capacité
à pointer l'essentiel est étonnante.
- Merci Holmes, mais de quoi parlez-vous ?
- Ah ! On frappe à la porte en bas. Madame Hudson va nous
annoncer la visite dont je vous parlais hier. Il n'a pas tardé,
dit Holmes en consultant sa montre.
C'est ainsi qu'Edward Harrison entra. J'eus tout juste le temps
de mettre de l'ordre dans ma tenue, et de constater que le cardinal,
attablé devant un thé, observait, amusé,
la scène du coin de l'il. Holmes fit asseoir le
jeune homme, qui ne semblait pas avoir dormi de la nuit. Le jeune
homme regarda Holmes, mais ne prononça pas un mot.
- Qui est-elle, Monsieur Harrison ?
demanda Holmes doucement.
Le jeune homme tressaillit.
- C'est bien pour me parler de cela
que vous êtes venu me voir ? continua Holmes.
- Oui, souffla le jeune homme. Je ne veux pas causer de tord
à
cette personne, Monsieur Holmes. Parler d'elle
à Sir Pilton eut été trahir sa confiance.
- La confiance de la jeune fille blonde, n'est-ce pas ?
- Vous savez déjà tout, constata Harrison.
- Pas tout à fait, mais ce long cheveu sur votre épaule
gauche est un indice qui ne trompe pas, jeune homme.
Harrison se saisit du cheveu et l'examina.
- Il faudra bien un jour en parler à
Sir Pilton si vous souhaitez vous marier avec elle, dit Holmes.
- Oui, vous avez sans doute raison. C'est elle, surtout, qui
souhaitait que nous soyons discrets lors de nos rencontres. Elle
a peur que je perde ma place. Vous comprenez, c'est une chance
unique, pour une personne aussi jeune que moi, que d'être
au côté d'un homme comme Sir Pilton.
- Je comprends Edward, dit Holmes, utilisant le prénom
du jeune homme pour la première fois.
- Sir Pilton peut comprendre votre tendre penchant, dis-je. Sa
richesse ne l'empêche pas d'apprécier un loyal serviteur,
et votre amour n'enlève rien à vos qualités.
- Vous avez certainement raison, acquiesça le jeune homme.
- Allez voir Sir Pilton, reprit Holmes. Racontez-lui, et il vous
réservera le meilleur accueil. De mon côté,
je lui rédige une lettre vous mettant hors de cause pour
toute cette histoire.
- Merci, Monsieur Holmes, dit le jeune homme en se levant.
- Encore une chose, demanda Holmes. Avez-vous un frère
?
- J'ai eu un frère jumeau, Charles. Il était lieutenant
dans l'armée des Indes. Il est mort il y a quelques années,
en 1895.
- Savez-vous comment ? demanda Holmes.
- Dans une embuscade, je crois. Ceci a été assez
confus. Nous avions appris son décès par l'un de
ses hommes, qui nous a rendu visite après son retour à
Londres. Nous avons donc contacté les autorités
pour savoir ce qu'il en était. Tout d'abord, l'administration
a nié qu'il soit décédé. Puis, quelques
jours plus tard, nous apprenions qu'il était mort en service.
- Merci Edward. Et bonne fin d'année, dit Holmes, visiblement
enchanté.
Après nous avoir salué, le jeune homme dévala
les escaliers.
- Mais de qui ce jeune homme est-il
donc amoureux pour qu'il ne veuille pas le dire à son
patron ? m'exclamai-je.
- Qui sait ? Je pencherai pour la fille de la cuisinière.
Je me suis laissé dire par le livreur, à qui j'ai
prêté main forte devant chez Sir Pilton ce matin,
et alors que vous dormiez encore, que c'était elle qui
préparait ces délicieux petits gâteaux auxquels
vous avez fait honneur hier.
- Mais il n'y a rien de scandaleux à aimer une pâtissière
!
- Certes, Watson. Mais ce garçon a été élevé
par un père qui a dû obtenir son poste à
force de travail et qui n'a eu de cesse de respecter les usages.
Il a certainement enseigné ces principes à son
fils, qui a bien du mal avec l'un de ceux-ci !
- Et qu'est-ce que cette histoire au sujet d'un frère
? demandai-je.
- Qu'avez-vous dit hier, mon ami ? Il correspond comme deux gouttes
d'eau au signalement qu'a donné le bibliothécaire.
Oui, c'est cela. Vous avez toujours la manière de poser
les évidences lorsqu'on ne les voit plus, Watson ! Comme
deux gouttes d'eau, ou comme deux frères, ou plus encore,
comme deux jumeaux ! A une cicatrice près.
- Mais son frère est mort en Inde, soulignai-je.
- Peut-être, mais qui peut en être certain ? En tout
cas, les cendres retrouvées dans le cab proviennent d'un
mélange de tabac fabriqué en Inde. L'indice est
maigre, mais c'est n'est pas qu'une coïncidence de plus.
- Vous voulez dire que son jumeau, Charles Harrison, serait bien
vivant, qu'il aurait monté toute cette affaire, surveillant
son frère pour faire coïncider son vol avec sa présence
à Rome, puis utilisé son nom pour louer un cab
avec lequel il projetait de tuer l'envoyé du Pape ?
- Pourquoi pas ? Il est trop tôt pour le dire, mais ce
n'est pas impossible.
- Où retrouver ce coquin, Holmes ?
- Et la Bulle ? renchérit le cardinal.
- Mes amis, c'est à moi de jouer maintenant, conclut Sherlock
Holmes en se levant.
Et il s'en alla dans sa chambre, pour en ressortir quelques instants
plus tard, habillé en pauvre créature, et s'engager
dans le froid sans se donner la peine de clore notre porte, ni
celle de dehors. J'entendis Madame Hudson maugréer, puis
refermer la porte, ce que je fis également à notre
étage. Jetant un coup d'il par la fenêtre,
je constatai qu'il commençait à neiger. Finalement,
Madame Hudson avait raison : la neige était arrivée
avant la fin de l'année ! |