Les grandes personnes ne savent pas toujours
le plaisir involontaire qu'elles procurent
aux enfants. Ainsi, dans le quartier paisible
où nous vivions, existaient, et existent
peut-être encore deux choses merveilleuses
à nos yeux de gamins. Aucun adulte
sensé ne peut trouver ou comprendre
notre secret. Une plaque d'égout
ce n'est pas un objet particulièrement
attrayant ; un énorme poteau électrique
en béton non plus. Mais, posez cette
plaque d'égout sur un trottoir, à
l'angle de deux rues où ne circule
qu'un vieux vélo de temps à
autre, ajoutez cet immense poteau rond,
et vous aurez une source de jeux et de joie
inépuisable.
D'abord, si tu joues à chat perché,
tu sautes sur la plaque, tu es intouchable,
c'est un domaine inviolable ; ensuite, si
tu es nettement plus rapide que ton poursuivant,
tu poses l'index sur le poteau, là
où dépasse un petit caillou
noir et brillant, un caillou qui n'a rien
à faire là, une erreur dans
la confection du poteau. Et, alors un miracle
ce produit, plus personne ne peut t'atteindre
: l'ascenseur s'élève progressivement
et te transporte au quatrième étage.
Ne me demandez pas pourquoi le quatrième
étage, c'est comme ça, je
n'en sais rien.
L'ascenseur, nous l'avions découvert
à La Samaritaine une semaine de Noël.
(La Samaritaine est un grand magasin au
bord de la Seine, une sorte d'ancêtre
des grandes surfaces). Nous avions monté
et descendu un grand nombre de fois, sans
jamais nous lasser et Maman n'avait rien
dit sûre de ne pas nous perdre dans
cette cohue des veilles de fête.
Et nous avions ramené l'ascenseur
avec nous ! La preuve, il était là,
à l'angle de notre trottoir préféré...
Montpellier, le 27 décembre
1994 |