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28 XII 2015

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Encore une injustice : l'ardoise

J'étais au Cours Supérieur, la classe des meilleures élèves, celles qui préparaient l'entrée en 6ème. Cette phrase n'a plus aucun sens, puisque maintenant tous les enfants passent au collège. Mais, à cette époque-là, c'était un concours, et seules les meilleures pouvaient prétendre entrer directement en sixième de lycée, les moins bonnes au collège, et la majorité des fillettes restait en primaire. Les petites du CM1 travaillaient beaucoup pour être sûres d'aller au Cours Supérieur. En effet, nous regardions avec un profond mépris les deux classes de CM2 : " des filles tellement bêtes qu'il leur faudrait au moins deux ans pour obtenir Le Certificat d'Etudes, si jamais elles l'avaient ! ". Ce mépris était entretenu d'une année sur l'autre. Je crois que nous reflétions les attitudes de nos Institutrices.

J'aimais l'école et ma Maîtresse passionnément. Nous travaillions énormément : pour meubler nos vacances de Pâques, pour ne pas perdre la main, nous avions reçu chacune un cahier de trente-deux pages et une liste de trente-deux problèmes. Pour moi, c'était une joie. J'adorais tout : les trains qui partent dans le même sens mais surtout pas à la même heure, celui qui rattrape l'autre parce qu'il roule plus vite, les partages inégaux, les citernes qui se vident ou qui se remplissent, les mètres cubes qui ont envie de se transformer en litres, et ces merveilleuses fractions ! J'aimais tout.

J'aimais aussi la grammaire, la conjugaison, les analyses ; j'avais toujours dix... Mais ma note de dictée variait entre quatre et zéro. Cinq fautes, zéro et tu ne passes pas en 6ème... la catastrophe !

Nos cahiers étaient des chefs-d'œuvre de présentation et de résultats brillants. L'ardoise nous permettait d'abattre trois fois plus de travail en trois fois moins de temps. Un jour, nous avions fait sur l'ardoise une belle analyse grammaticale. Au moment où la cloche sonne, comme je suis un peu lente, je n'ai pas terminé. La Maîtresse me laisse seule dans la classe. Je me relis, c'est parfait, je suis sûre d'avoir tout bon et d'avoir gagné une image. Samedi soir je rapporterai à la maison une nouvelle grande image échangée à ma Maîtresse contre dix petites.

Et puis, c'est la catastrophe ; je ne sais pas ce qui me prend, au moment où je me lève pour aller jouer, je retourne à nouveau mon ardoise... et celle de mon amie Anne-Marie qui est juste à côté. A cet instant précis, sort de sa classe la vieille madame André, son chignon aussi gris que sa blouse. C'est une personne grincheuse, qui ne sourit jamais, même pas à ses collègues. Elle me voit, car les baies sont vitrées côté couloir. Elle entre dans la classe et constate : " que je suis une copieuse, une vilaine tricheuse, et qu'on n'a pas idée de laisser seule en classe une gamine en qui on ne peut pas avoir confiance... ". Plus elle parle, plus elle crie. Elle me fait descendre l'étage à toute allure et m'entraîne vers le cercle des Maîtresses. Elle raconte qu'elle m'a surprise en train de tricher... Ma Maîtresse s'étonne un peu et dit : " nous réglerons ce problème en classe, en attendant va au coin ". Imaginez ce que cela représente d'être au coin devant toute une école. C'est comme si j'étais un voleur, un brigand et qu'on me mette en prison. Quand la cloche sonne, personne ne veut me donner la main et je monte seule derrière mon rang.

En classe c'est le tribunal. Les élèves sont déjà assises, la Maîtresse debout sur son estrade et moi je reste figée dans l'encadrement de la porte. " Entre, viens donc sur l'estrade nous expliquer ce qui s'est passé ! ". J'avance en pleurant, et je raconte tout en me mouchant : " que j'aie fait mon analyse toute seule et que c'est seulement au moment de sortir que j'aie retourné l'ardoise d'Anne-Marie ; que j'étais debout dans la rangée et que je n'étais pas en train d'écrire quand madame André est rentrée ; et que d'ailleurs mon beau crayon d'ardoise était dans la rayure de la table ; et que je n'aie pas triché parce que, moi, l'analyse je sais la faire ". Oui, dit la Maîtresse, mais tu tenais quand même les deux ardoises ! Donne-moi ton cahier et aussi toutes tes images !

Alors, elle écrit : 0 de travail, 0 de conduite pour avoir triché. Signature des parents et me rend mon cahier. Mais ce n'est pas encore terminé. J'avais entendu parler de l'affaire Dreyfus, déshonoré, à qui on avait arraché toutes ses décorations. Et la Maîtresse fait une chose incroyable, une chose honteuse, elle s'approche de moi, je crois qu'elle va m'embrasser pour me consoler, qu'elle va me dire que les deux zéros c'est pour m'apprendre à être moins curieuse. NON, devinez ce qu'elle ose faire ? Elle retire de mon tablier la croix d'honneur qui y pend semaine après semaine, et la pose sur son bureau... Je suis déshonorée... Mes amies me boudent, ne me parlent plus, je vais m'installer toute seule au fond de la classe.

Connaissant mes Parents, ma Mère surtout, j'hésite à rentrer à la maison. Mais, contrairement, à mon attente, ils me croient. Ils sont même gentils et ils m'expliquent que vis-à-vis de sa collègue, ma Maîtresse ne pouvait pas faire autrement, vu qu'elle-même était en tort parce qu'on ne doit jamais laisser une élève seule en classe...

C'EST INJUSTE ET CA NE S'OUBLIE PAS.

Montpellier, le 22 Décembre 1994

Claudette Prévot
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