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28 XII 2015

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La tornade

Le vent souffle en rafales violentes et incontrôlables. Ce n'est pas le Mistral ou la Tramontane ; c'est un vent anonyme, stupide qui soufflera pendant toute la durée de la guerre sur la proche banlieue située à l'est de Paris. Comme si le manque de chauffage ne suffisait pas à geler les habitants ! Il faut encore que l'atmosphère s'en mêle ! Ce vent est là, présent, disparaissant rarement. Mais si désagréable soit-il, nous sommes habitués à lui, nous le connaissons.

Aujourd'hui, le vent a perdu de son intensité. Nous devrions nous en réjouir. Mais contre toute attente un incompréhensible malaise plane sur la petite ville. Il semble que la pluie va finir par tomber en abondance. Il est midi et nous avons l'impression que le jour ne se lèvera jamais. Le ciel est noir, tacheté de traînées violettes et de gigantesques plaques orange. C'est si bizarre, si étrange que cela en devient angoissant. Le vent s'arrête brusquement. Plus un souffle de vent, un silence total succède au bruit sourd des rafales. Un silence si complet, si paralysant que mon envie de hurler, pour au moins entendre le son de ma voix, s'arrête dans ma gorge. Mon petit frère reste figé et collé à Maman. Les chiens et les chats sont rentrés précipitamment dans la maison sans qu'il soit possible de les en chasser. Pourtant l'air est trop frais et cela ne ressemble en rien aux orages violents des étés surchauffés. Alors, pourquoi ces bêtes ont-elles senti le besoin incontrôlé de se réfugier à la maison ?

L'ampoule électrique, de trop faible puissance, ne parvient pas à éliminer l'obscurité totale qui règne à l'extérieur.

Soudain, un bruit totalement inconnu envahit la ville : aucune ressemblance avec des sons familiers. C'est un mélange de grognements de lion, d'orage lointain se rapprochant à vive allure, de roulements de tambour un soir de quatorze juillet, de bruits de casserole attachée à la queue d'un chien qui s'enfuit. C'est un bruit étrange qui s'enfle, qui s'enfle et se gonfle comme de la pâte à pain. C'est bientôt insoutenable, intolérable, un cauchemar total. Même dans mes rêves de fées et de sorcières, je n'avais inventé un bruit aussi terrifiant. Ce bruit s'étoffe encore, devient assourdissant, insoutenable. Figés, terrifiés, nous restons soudés au carrelage de cuisine, sans gestes, ni voix. Cela nous dépasse, c'est sûrement la fin du monde, le jugement dernier... Et comme ce matin j'ai chipé un morceau de sucre, sûr que je vais me retrouver à gauche de Jésus parmi les méchants. Nous sommes terrorisés. Le ciel semble moins noir, mais il renvoie de grands reflets violets et les zébrures orange s'étalent d'avantage.

Je suis incapable de dire combien de temps dure ce cauchemar. Transformés en statuts de sel, il nous faut de nombreuses minutes avant de réaliser que le calme et le silence sont revenus. Un énorme éternuement de mon petit frère nous ramène à la réalité. Cet " Atchoum " nous réintroduit dans notre monde ordinaire, dans celui des êtres humains, avec leurs petits soucis et leurs maladies. J'embrasse Dédé avec fougue ; il ne sait pas qu'il vient de me délivrer... d'un séjour en enfer...

Pendant tout cet ahurissant événement les animaux sont restés sous la table de cuisine, collés le long du mur. Maintenant ils relèvent la tête. Les chiens s'ébrouent, les chats s'étirent et demandent à sortir. Ils savent mieux que nous que tout danger est écarté.

A leur suite nous sortons, pas très rassurés cependant. Le spectacle qui s'offre à nous est désolant. Des toitures se sont envolées. Des palissades ont été arrachées et envoyées au loin. Des vitres brisées ont fait un vol plané dans les rues et jonchent le sol. Des pots de fleurs ont voltigé, sautant les murs et se retrouvant trois habitations plus loin. Mais le plus extraordinaire c'est le voyage incroyable fait par les poubelles. Pas de vraies poubelles, ce sont les vieilles lessiveuses en tôle galvanisée qui terminent leur vie en poubelles. Parfois, la nuit, on entend un bruit métallique : C'est un chien errant qui vient de donner un bon coup de gueule dans un couvercle pour le faire sauter. Au petit matin on trouvera la poubelle renversée et les ordures répandues sur le sol. Mais aujourd'hui, les poubelles de mon quartier ont accompli un exploit. Parties de notre petite rue, elles ont survolé tous les pâtés de maisons alentour, sauté la voie ferrée, passé l'avenue de Rosny et se sont retrouvées dans le quartier neuf, de l'autre côté du grand pont. Un voyage de cinq cents mètres au moins.

Les gens se sont rassemblés et bavardent avec excitation. Finalement, ils tombent d'accord : il s'agissait d'une tornade de force exceptionnelle. Elle avait pris naissance beaucoup plus loin dans la plaine, s'était engouffrée dans les tunnels, avait suivi la profonde entaille faite pour la voie ferrée stratégique et était venue s'épanouir dans ce quartier de banlieue où il ne se passe jamais rien.

Montpellier, le 13 mars 1995

Claudette Prévot
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