Ce n'est pas une blague, mais cela y ressemble.
Posées face à face sur un
petit terrain, deux maisonnettes aussi solides
que minuscules. Nous sommes contents d'avoir
cela. Les bombardements de Noisy et de la
gare de triage de Vaires ont fait de nombreux
sans abri. Nous avons un toit, et même
deux. Ce n'est pas du tout confortable.
D'un côté la cuisine et la
salle à manger, de l'autre deux chambres.
Pas de salle d'eau et pas de toilettes.
Dans le jardin, plusieurs cabanes à
outils, un poulailler et des W.C..
C'est visiblement un de ces multiples petits
pied-à-terre qui ont fleuri entre
les deux guerres. Les nostalgiques venaient
sans doute passer là un délicieux
dimanche à la campagne. On y venait
en tramway, et l'on cultivait ses petits
radis et ses laitues. Nous aussi, nous cultivons
nos légumes. Mais, nous, nous y vivons
toute l'année et croyez-moi, c'est
dur à chauffer. Et ne riez pas si
je vous dis que nous sommes heureux d'avoir
l'eau courante. Parce que voyez-vous, nos
voisins viennent chercher l'eau chez nous
avec des arrosoirs. Et vous croyez que j'habite
" au fin fond de la France profonde
", comme disait je ne sais qui ! Détrompez-vous
! J'habite à treize kilomètres
à l'est de Paris. Nous pouvons prendre
le train et nous avons deux lignes d'autobus
nous permettant de rallier la capitale.
Mais nous sommes heureux. Papa a été
libéré et il est revenu, en
mauvais état certes, mais il est
revenu... Nous nous réaccoutumons
tout doucement à sa présence.
Les deux maisonnettes sont reliées
par deux fils électriques de gros
calibres, l'un part du sommet du toit, l'autre
est situé sous la toiture.
C'est l'été, il fait un temps
lumineux. Nous avons sorti nos pliants et
nous nous sommes assis à l'ombre.
Papa a réparé une vieille
chaise longue et somnole. Il dit : "
Il est cinq heures moins cinq ". Pourquoi
dit-il cela ? A cet instant précis
un énorme rat, une sorte de gros
chat, traverse allègrement, tel un
équilibriste, sur le fil électrique
le plus haut. Nous restons immobiles, sidérés.
Le rat disparaît aussi vite qu'il
est apparu.
Le lendemain, à nouveau installés,
nous lisons tranquillement nos livres d'images
tandis que maman tricote et que papa dort.
Soudain, Dédé crie : "
Le rat ! ". Papa sursaute, se réveille
et machinalement consulte sa montre. Il
est cinq heures moins cinq, annonce-t-il.
Ce manège dure une semaine entière.
Au bout de cette curieuse semaine, Papa
tout à fait réveillé
et grimpé sur les marches d'escalier
de la cuisine, attend le rat de pieds fermes.
Il tient solidement un gros balai. Il tape
de toutes ses forces sur le fil électrique
qui se met à vibrer. Mais le rat,
après avoir vacillé, retrouve
son équilibre et continue sa traversée.
Il est... cinq heures dix. Le rat était
en retard au rendez-vous...
Le rat n'est jamais revenu... Peut-être
avait-il eu peur ? ...
Montpellier, le 25 Janvier
1995 |