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28 XII 2015

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Enfance à Villemomble

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Encore une injustice : l'ardoise

Étrange vision

La grève des Instituteurs

Le rat

Rouzic, le chat

La tornade

Les trains

Un joyeux Noël

Un joyeux Noël (1946 peut-être)

La Guerre est terminée. Papa a été libéré et nous sommes de retour dans nos deux petites maisons jumelles à Villemomble à treize kilomètres à l'est de Paris. Le premier trimestre scolaire vient de s'achever. Mon frère et moi sommes en vacances de Noël.

Il fait doux en cette fin d'après-midi. Depuis plusieurs jours déjà la mairie a fait installer par ses cantonniers quelques guirlandes lumineuses au-dessus de la Grand'rue. Nos parents travaillent jusqu'au soir. Nous avons une dizaine d'années et nous sommes assez grands pour nous garder tout seuls. Nous jouons dans le jardin à en perdre le souffle. Puis comme toujours le jeu dégénère. On se dispute, on crie, je tire les beaux cheveux frisés d'André qui me lance d'énergiques coups de pieds dans les tibias. On se calme quelques instants pour reprendre souffle... et on recommence à se battre. Je file dans la cuisine, prend un livre, veut m'asseoir près de la cuisinière. Mais il fait un froid de loup là dedans ! Catastrophe ! Nous avons tellement joué que nous avons oublié de remettre du charbon dans la cuisinière. On essaie de la rallumer en mettant une tonne de papier et ces charbons en forme de gros œufs qu'on appelle boulets. Le papier brûle comme il peut, enfoui sous le charbon, mais les boulets ne prennent pas. Il faut vider la cuisinière. C'est bouillant. Alors péniblement, à l'aide d'une pelle en fer et d'un seau émaillé, nous vidons le tout. Puis, minutieusement, nous introduisons du papier froissé, du petit bois bien entrecroisé pour que l'air passe, du gros bois, une poignée de boulets et des dizaines d'allumettes. Le feu prend enfin. Nous le surveillons, nous le dorlotons, lui rajoutant du charbon, mais pas trop. Quand cette première série de boulets est bien rouge on rajoute une grosse pelletée de charbon. Nous sommes sauvés ! Surveiller le feu est la seule chose que nos Parents nous demandent, et l'on y pense rarement. La cuisine est enfumée et poussiéreuse. Dédé ouvre la porte toute grande pour chasser cette odeur pénétrante. Je passe le balai et la serpillière. Et nous retournons au jardin tandis que la cuisine sèche. Les courses-poursuites se succèdent. Fatiguée, je décide de rentrer. Dédé n'est pas d'accord. Il insiste, je refuse. Il sort, tire brusquement la porte à lui et m'enferme. Il rit joyeusement en me montrant les clefs à travers le carreau. Je pars lire dans mon coin. Un bon moment après, je désire sortir. Je tape sur le carreau mais Dédé ne m'entend pas ; je suppose qu'il est au fond du jardin. Enfin le voilà qui réapparaît. Je lui fais signe. Il me crie "Tu veux les clefs ? " Je fais oui en hochant la tête. Alors Dédé prend son élan et me jette le trousseau à travers la vitre. Elle vole en éclats, il y a des bouts de verre partout. Nous sommes figés, sidérés. Il n'arrête pas de répéter : "Mais je voulais faire semblant" "Oui, mais tu les as lâchées, et maintenant qu'est-ce qu'on fait ?"

Nous ramassons les morceaux. C'est l'hiver, la nuit tombe vite. Nous abandonnons la cuisine, courons chez la voisine qui nous est d'aucun secours. Nous nous réfugions dans les chambres. Soudain une joyeuse petite sonnette suivie d'un brutal coup de freins retentissent, c'est Maman qui arrive en vélo. Elle est chargée de provisions pour fêter dignement Noël. Immédiatement, elle constate les dégâts. Filez ! Au lit ! Vous n'aurez pas de Noël. Elle sort un mètre pliant, un petit carnet, un crayon noir et mesure le trou béant. Puis sans dire un mot, grimpe sur son vélo et disparaît. Le temps nous semble long. Nouveau coup de petite sonnette, d'un son différent : Voilà Papa sur son grand vélo. Nous avons moins peur de Papa que de Maman. On lui explique, il réenfourche son vélo et disparaît à son tour. Une bonne heure passe. Il fait totalement nuit, nous avons faim et nos Parents n'ont toujours pas réapparu. On guette derrière la porte vitrée. Ni l'un ni l'autre n'ont dit où ils allaient. Mais pour nous c'est évident. Seul le grand quincaillier de l'avenue... peut nous venir en aide. Maman revient seule et sans matériel. Pourquoi n'a-t-elle pas rencontré Papa ? L'explication vient, orageuse et violente quand Maman entre en trombe dans la chambre. C'est fête, dit-elle, et le quincaillier est fermé depuis longtemps. J'ai tambouriné sur le rideau de fer de la vitrine jusqu'au moment où le commerçant est sorti de chez lui exaspéré par mon tintamarre. Il a dit : c'est vous Madame qui faites un tel raffut, d'habitude ce sont les gosses qui jouent à ça. Et il rentre chez lui sans attendre que Maman s'explique. Cette fois-ci j'ai sonné chez lui. Encore vous ? a-t-il dit avec fureur. Mais ce coup-là je lui ai coupé la parole et lui ai tout expliqué : que le vieux mastique avait cédé, que la vitre était tombée et qu'on était gelé. Il m'a fait passer par derrière, a pris les mesures et a commencé à couper le carreau. Soudain quelqu'un s'est mis à taper avec ardeur sur le rideau de fer du magasin. Le commerçant a hurlé : Celui-là je l'étrangle. Il est sorti dans sa petite allée. Je l'ai suivi. Apercevant la longue silhouette et le vélo j'ai dit : Ne craignez rien c'est mon mari. Et nous sommes rentrés tous les trois dans la tiédeur de l'atelier. Papa ne va pas tarder, il arrive à pieds retenant la vitre sur le cadre de son vélo.

Elle change de ton et ajoute : Arrivez, il y a du travail. Elle déballe ses sacs. Je me demande bien comment elle a pu remonter du Raincy en vélo avec un chargement pareil. Sur le gros panier en osier trône une bûche énorme, puis des pâtés ronds truffés, des galantines de toutes sortes et un superbe pâté en croûte apparaissent. Tout au fond du sac, une bourriche d'huîtres pour au moins six personnes. C'est dégoûtant ces bestioles que l'on avale vivantes. Moi ce que j'aime c'est l'eau de mer mêlée à la vinaigrette aux échalotes. Dans les sacs à provisions une petite dinde qui fera plusieurs jours, un gigot, un rôti rouge, des pommes de terre pour la purée, des betteraves rouges, de la salade, du lait, du beurre et, des fromages. Le troisième cabas déverse des tonnes de raisin, bananes, pommes, oranges, mandarines, figues et dattes fraîches.

Il y a de la nourriture pour toutes les vacances de Noël !

Tandis que Maman ouvre les huîtres, nous installons les pâtés sur les raviers du dimanche. Papa arrive et se met aussitôt au travail. Il nettoie méticuleusement les encadrements de fenêtre, fait sauter les derniers morceaux de verre. Il appuie le carreau. Nous jetons un coup d'œil : pourvu que Maman ait pris les bonnes mesures ! Mais elle, très calme, sûre d'elle, ne se retourne même pas, face à l'évier elle continue d'ouvrir les huîtres. Le carreau est parfait. Papa plante quelques petits clous sans tête. Le carreau bien en place, il commence à mastiquer. Là, cela va moins bien. Le mastique suit le couteau et refuse de coller. Après bien des essais et des dérapages, le mastique tient bon... La preuve de notre bêtise a enfin disparu. Tandis que Papa va se nettoyer et changer de vêtements, nous mettons une belle nappe et des bougies. Maman a punaisé des guirlandes sous la planchette qui supporte la radio. Le four à Butagaz attend le pâté en croûte. "Déjà dix heures ! Trop tard pour faire cuire de la viande !" dit Maman. Puisque Papa a mis une cravate, Maman décide de se faire belle à son tour. Alors il débouche les bons vins en l'attendant. La petite crèche trône sur le buffet de salle à manger. Devant la vieille cheminée le sapin s'éclaire de véritables bougies multicolores. Le lendemain matin, les quatre paires de chaussons regorgent de cadeaux. Tout est rentré dans l'ordre ! Ah non, cette année nous ne sommes pas allés à la messe de minuit. Ma foi, je ne m'en plains pas. Le soir de Noël il y a trois messes qui se succèdent. On ne va quand même pas casser les carreaux tous les ans pour échapper à la messe de l'aube et surtout à celle de l'aurore !

Joyeux Noël à Tous !

Montpellier, le 23 novembre 1997

Claudette Prévot
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