Un petit gamin malicieux s'agite sur le
plancher d'une scène de théâtre
improvisée. Vêtu de sa culotte
de velours, il tire effrontément
sur ses bretelles agressivement fleuries.
Il est vif, hirsute, et tout en triturant
son nud papillon, songe à la
nouvelle bêtise qu'il va bien pouvoir
entreprendre. Il a des parents sérieux,
sévères et soucieux de bonne
éducation, comme on peut l'être
en cette première moitié du
siècle. Leurs aînés
sont déjà courageux et travailleurs
et les tout petits, calmes et tranquilles.
Mais celui-ci, d'où peut-il bien
sortir ? Il accumule les pires idioties,
et ses inventions sont carrément
diaboliques disent ses vieux grands-parents.
Rien à en tirer ! Quant à
prévoir, c'est parfaitement inutile.
Cela vous tombe dessus au moment où
l'on s'y attend le moins.
Un tas de fumier trône dans ce décor
de ferme. Toute la famille vaque à
ses activités. Lui, habillé
comme un "gosse de riche" par
une vieille dame aisée qui l'adore,
va à l'école épisodiquement.
Il fait "La Bleue" car il préfère
escalader les arbres de la forêt voisine
plutôt que de rester immobile sur
son banc d'école. Bref ! Un monstre
de gosse !
Deuxième acte : Même décor.
Sur le devant de la scène, le père,
armé du fouet réservé
d'ordinaire au cheval, frappe sur le galopin
hurlant de douleur. Trop, c'est trop, répète
l'homme déchaîné. Tôt
ce matin, le feu a pris dans la grange et
il a fallu tous les bras valides, famille,
ouvriers agricoles pour circonscrire le
foyer. Le père continue de frapper
et le gosse de hurler ! Il avoue tout et
les coups cessent.
Soudain, tous les acteurs s'agitent, crient,
gesticulent. Où est passée
la petite sur de dix-huit mois et
qui se déplace d'une démarche
encore mal assurée ? Le père
martèle le sol de ses bottes de caoutchouc.
La mère retrousse ses jupes pour
courir plus vite. "Adélaïde
! Adélaïde !" Mais aucun
écho à ces appels angoissés.
Et l'on entend la voix de l'horrible gamin
caché par le tas de paille qui crie
"Je l'ai, je l'ai, au secours, on se
noie. Alors, de la fosse à purin,
on aperçoit une petite fille tenue
à bouts de bras par un gosse qui
s'épuise. Le père tend la
fourche, l'enfant s'y agrippe sans lâcher
son précieux petit paquet. Sauvés
! Ils sont sauvés !
Vite on les ramène sous la pompe
à eau pour les débarrasser
de la gangue puante qui les enveloppe. On
fait un triomphe au gamin. Fin.
Applaudissements vibrants des membres du
Conseil Municipal, et surtout des parents
d'élèves qui n'en reviennent
pas. Une classe de campagne a mémorisé
sans faiblir un texte long et compliqué.
Les élèves du "Certif",
les quatorze ans, ont campé des adultes
fort réalistes. Les supposés
frères et surs du galopin avec
quelques phrases courtes, s'en sont bien
tirés. Ovation au gamin, vif et malicieux,
qui vient saluer seul au milieu de la scène.
Un gamin que personne ne connaît ni
ne reconnaît. Et comme disaient ses
parents dans la pièce : "D'où
sort-il celui-là ?"
Maman sourit à sa petite fille si
bien grimée. Je suis transportée
de joie ! Il faut dire qu'au moment de choisir
un garçon pour ce rôle, le
mari de l'Institutrice parcourant des yeux
les quarante élèves n'a pas
pu se décider. Puis son regard s'est
posé sur moi. Il s'est dit que cette
petite maigrichonne, aux cheveux fins et
raides comme des baguettes de tambour, ferait
un garnement très crédible.
Une petite fille des villes à l'esprit
vif et capable d'ingurgiter et de rendre
vraisemblable ce texte campagnard. Un triomphe,
j'ai obtenu un triomphe !
Rapidement, du goûter qui nous est
servi, il ne reste rien. Car, comme chacun
le sait, les émotions ça creuse
!
A Montpellier, le 19 décembre
2001 |