Les grandes personnes ont toujours raison...
Enfin, c'est ce qu'elles disent... Elles
ne nous croient jamais. Pendant la guerre
de 1939-45, mes grands-parents Arthur et
Caroline habitaient la campagne. Elisabeth
et ses trois enfants, sa sur, Denise
et ses deux petits s'étaient réfugiés
chez eux. Grand-père était
le seul homme de la maison. Tout le monde
obéissait à grand-père.
Un matin, nous étions tous les cinq
perchés sur la barrière peinte
en blanc. Le poulailler était une
immense volière et c'était
très amusant de regarder les poules
se disputer pour les vers de terre que nous
leur avions apportés.
Le poulailler se trouve à l'extérieur
de l'enclos qui nous est réservé.
Soudain, les poules s'agitent, les canards
crient, c'est un affolement général
dans la basse-cour. Nous, toujours perchés,
nous ne comprenons pas ce qui se passe.
Alors, un drôle de bruit, totalement
inconnu de nous, un gros ronflement, un
grognement étrange traverse la grande
prairie. Ce bruit traverse l'allée
des vieux pommiers et nous voyons arriver
une bête aussi bizarre que son cri.
Elle n'est pas méchante, elle vient
même se frotter longuement contre
notre perchoir.
" Interdit de sortir de l'enclos "
ont dit et répété les
grandes personnes... Mais, franchement,
une bête pareille, ça se regarde
de près, non ? Je me laisse glisser
tout doucement de l'autre côté
de la barrière et je caresse la Bête
qui ne s'occupe pas du tout de moi. C'est
vexant. Ce qui intéresse l'animal,
c'est l'agitation du poulailler. Ca gratte,
ça pique, ça sent très
mauvais, bref, c'est un énorme sanglier.
Dans notre bande de jeunes gamins, il
y a toujours un rapporteur, un " cafteur
". Lequel a crié : " Claudette
a sauté la barrière, elle
a sauté la barrière !!! ".
Je n'en sais rien. Vivement, je repasse
du bon côté. Attirées
par les cris, les trois femmes arrivent.
Elles arrivent lentement, très lentement
en voyant le monstre si près de leurs
enfants. Elles nous arrachent aussi vivement
de notre observatoire qu'elles sont venues
lentement. Nous sommes sauvés...
Maman court chez le plus proche voisin,
le seul vieil homme qui ne soit pas à
la guerre et qui ait un fusil. Mais le sanglier
s'est sauvé. Tous les vieux du village
ont fait des battues jusqu'au soir. Pensez
! De la si bonne viande à l'époque
des tickets de rationnement... Mais on n'a
jamais revu le sanglier.
Par contre, la gifle reçue à
toute volée il y a plus de cinquante
ans brûle encore ma joue gauche.
La fessée, pour avoir menti, pour
avoir osé dire que j'avais caressé
le sanglier me fait encore mal. Et pourtant,
c'est la vérité !!! LES GRANDES
PERSONNES CROIENT TOUJOURS AVOIR RAISON...
Montpellier, le 1er janvier
1995 |