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Dominique Prévot

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28 XII 2015

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Enfance à Rueil en Brie

Boulli la cane

Les bêtises : la truie

Injustices

La lâcheté

Une autre bêtise : les bougies

La libération

Le martinet

Petit Edouard

Marie-Victoire

Le mariage de la fille du Maire

Un mémorable 14 juillet

Une autre bêtise: les bougies

Sage et calme, Claudette fait des torsades avec des pelotons de laine que sa Mémé Caroline lui donne. Elle en fait une grande quantité et cela intrigue la famille : " Mais pourquoi Claudette fait-elle autant de torsades à longueur de journée ? " Claudette répond : " J'aime bien ! C'est joli ! " Et range son trésor dans sa petite valise à couture qui refuse de fermer.

C'est la guerre, il y a souvent des coupures de courant et les bougies sont en permanence à portée de mains. La semaine qui suit la confection des torsades, Claudette et son petit frère Dédé raclent au couteau bougies et bougeoirs et cachent leur précieux butin. Ils surveillent attentivement la fonte trop lente à leur gré et quand la mèche a brûlé jusqu'au bout, ils gardent aussi les restes inutilisables, aux yeux des adultes. C'est tellement beau, la lumière des bougies ! Puis, ils trichent carrément le jour où ils décident de couper le fond des bougies neuves. Chaque soir Grand-père reste dans la vaste cuisine pour profiter de la chaleur en lisant son journal. Mémé Caroline s'étonne : " Dis Donc, Arthur, tu as lu jusqu'à quelle heure hier au soir ? ". " Moi, répond Grand-père, comme d'habitude ! ". " Alors, ces bougies ne valent rien ! " S'emporte Mémé qui n'est pas commode. Nous approuvons en hochant de la tête, mais nous ne disons rien.

Commence, alors, un travail remarquable. Premier travail : jouer à la dînette, tout sortir, en étaler partout dans la cuisine pour que Maman, Tata et Mémé soient persuadées que nous les imitons, que nous aussi nous préparons le repas des poupées... Comme par hasard, la petite mallette à couture a refait son apparition. Mémé grogne qu'elle ne sait plus où poser les pieds. Nous tassons un peu nos jouets. Ce manège dure des jours. L'attente est interminable : avec trois femmes dans la maison, impossible d'être seuls dans cette cuisine et en tout cas, jamais le matin.

Pourtant, un jour, l'occasion se présente. Elles partent toutes les trois acheter des coupons de tissu. Patiemment, pendant des mois, elles ont accumulé les points, les tickets de rationnement. Elles sont contentes et partent joyeusement pour la ville située à deux kilomètres de là. Nous attendons un peu, pour être sûrs qu'elles n'ont rien oublié et qu'elles ne reviendront pas nous déranger. Quant à Grand-père, on est tranquille, il ne quittera son cher jardin qu'à sept heures moins cinq, pour passer à table.

Alors, c'est l'agitation, la fébrilité, la folie, on se presse, on veut faire tellement vite qu'on se tamponne... On pose sur la cuisinière toutes les casseroles, tous les faitouts, tous les pot-au-feu de ma dînette. Chaque gamelle reçoit des débris de bougie qui fondent lentement. Mais ils fondent trop vite et l'on n'a pas le temps de fournir une natte, une mèche à chaque nouvelle bougie qui se prépare. Cela va vraiment trop vite et la maison commence à empester la bougie brûlée. Nous sommes obligés d'ouvrir toute grandes portes et fenêtres. Nous sortons toutes les bougies prêtes, pour qu'elles refroidissent. Rapidement, elles durcissent. Nous mettons en route une autre fournée. Quand nous avons enfin terminé, nous sommes épuisés, en nage. Nous allons vite cacher notre précieux trésor dans la grange. Nous faisons reluire le dessus de la cuisinière en y étalant une pâte réservée à cet usage, et nous continuons d'aérer. Quand les femmes reviennent, elles constatent une forte odeur ; mais comme nous ne sommes pas à un mensonge près pour sauver notre secret, je dis : " J'ai voulu vous faire une surprise, mais j'ai mis trop de pâte ! ". J'ai droit à un gros bisou. Elle est si gentille, cette petite Claudette...

La maison n'est pas très grande ; enfin suffisamment grande pour loger quatre adultes et cinq enfants. Il y a des chambres à l'étage ; mais ce qui est nettement plus intéressant, c'est la chambre du bas ; elle est immense et possède trois curieuses fenêtres ; chaque fenêtre carrée est munie d'un seul battant, d'une seule vitre. Chaque volet est un panneau de bois plein, solide et rustique. Ce volet est extraordinaire ; s'il est grand ouvert, il fait jour, mais si tu le fermes hermétiquement l'obscurité est totale. Un gamin peut aisément se loger dans la niche aménagée entre la fenêtre et le volet. Une pure merveille... une véritable chambre à coucher tout confort en miniature, où l'éclairage vacillant de la bougie te permet de lire, et de croire qu'il fait nuit noire...

C'est l'automne, le vent balaie les nuages et assèche la terre. Il est quatre heures ; après une bonne tartine de compote, vite avalée, les cinq enfants gambadent dans l'enclos. Ils courent, se chamaillent à qui prendra la balançoire en premier. Puis, fatigués de courir et de crier, ils filent tous dans la grange et récupèrent leurs précieuses bougies. On va enfin pouvoir jouer à la chambre à coucher. Il faut dire qu'à la campagne, une fois la toilette faite, une fois que tu es habillé, tu ne retournes dans la chambre que le soir pour te coucher. Et, l'illusion est parfaite, quand tu te hisses dans la niche, quand tu délaces tes grosses galoches à semelles de bois et que tu achèves de rabattre le volet sur toi. C'est extraordinaire la joie que tu éprouves à ce moment-là !

Le jeu de la chambre à coucher aurait pu durer longtemps, sans le vent, sans les courants d'air. La porte de la chambre devait être ouverte, ma fenêtre brutalement se referme, coinçant le rideau qui prend feu immédiatement. Je me mets à hurler. Je devrais sauter dans la cour, comme je l'ai fait des dizaines de fois, mais, dans mon affolement, il m'est impossible de tirer la targette du volet. Alertées par mes hurlements, les trois femmes arrivent en même temps. Avant que j'aie le temps de réaliser ce qui m'arrive, elles me sortent de là, elles éteignent le feu, elles me déshabillent, ma robe ayant commencé à roussir, et me passent un pyjama. Alors, Maman se déchaîne. Elle baisse la culotte de mon pyjama et je reçois une fessée mémorable ; puis elle m'indique la chambre du haut. A sept heures, Grand-père est mis au courant de mes exploits. Je l'entends grimper l'escalier. " Etant l'aînée, tu devrais donner le bon exemple aux autres. Au lieu de ça, tu mens et tu as failli mettre le feu à la maison ; j'avais mal placé ma confiance ! ". Là-dessus, il me tend un verre d'eau : un gosse, ça se déshydrate si vite...

Montpellier, Décembre 1994

Claudette Prévot
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